Petit, Chigozie Obioma aimait piocher des livres dans la bibliothèque de son père. Shakespeare ou la mythologie ont fortement influencé sa plume vibrante. Autre source inspirante, la culture igbo qui imprègne chacun de ses mots. Son premier roman, Les pêcheurs révélait un auteur sublime, le finaliste du Man Booker Prize 2013. Celui-ci bénéficie d'une douzaine de traductions. Si « chaque homme est un mystère pour le monde », l'écrivain désire le percer. Il nous entraîne au Nigeria, sur les pas de Nonso, un éleveur de poulets qui a grandi auprès d'un père, endeuillé par la femme aimée. Alors qu'il traverse un pont, le protagoniste sauve une fille du suicide, Ndali. Son fillancé va en épouser une autre, Nonso l'apaise. « Tous deux sentaient qu'il y avait entre eux un lien ineffablement profond. » Une mutation charnelle et spirituelle s'opère en eux, mais il existe des barrières socioculturelles.
Nonso rêve d'épouser Ndali, or il se heurte à sa famille. Inconcevable que l'étudiante en pharmacie s'unisse à un vendeur de volaille, ayant abandonné l'école. Le rejet est net, impitoyable et irrévocable. Nonso se sent poignardé. « Le chagrin resurgit dans sa vie telle une armée de fourmis. La honte le frappe au cœur. » Cependant, le couple ne renonce pas à cet amour grandissant. Décidé à changer sa destinée, le héros vend tous ses biens pour s'inscrire dans une université chypriote. Le sacrifice est immense et la séparation déchirante, mais il n'y a pas le choix. Mais rien ne se passe comme prévu dans ce pays où règnent inégalités et loi du plus fort. « La vie d'un homme est une course, de son point de départ à son point d'arrivée. » La chute ne semble jamais bien loin.
On retrouve, chez Chigozie Obioma, cette langue de conteur africain, imbibé de traditions transgénérationnelles. La société igbo croit en la réincarnation. Autant de vies dont peut témoigner ce roman exigeant. On met cependant un moment à saisir que le narrateur est un « chi », alias un esprit protecteur invité à habiter une enveloppe et une âme humaine. C'est lui qui narre l'histoire de cet homme fracassé, qu'il nomme « mon hôte ». Un être mué par une volonté de fer. Refusant de se plier à la fatalité, cet Ulysse nigérian ne renonce jamais à sa Pénélope. Une tragédie grecque époustouflante, orchestrée par les esprits et les astres. Nonso parviendra-t-il à contourner le désastre ?
La prière des oiseaux - Traduit de l'anglais (Nigeria) par Serge Chauvin
Buchet-Chastel
Tirage: 5 002 EX.
Prix: 25 euros ; 528 p.
ISBN: 9782283032343