Au début, il ne la voit pas. Elle a 10 ans, lui quelques mois de plus, une éternité à l’aune de l’adolescence. Ce qu’il voit, c’est sa mère, la belle Gaëlle, lointain objet du désir. A cet âge de la vie, sur la presqu’île de Quiberon, entre parties de tennis et sorties en mer, il flotte comme un parfum de grandes vacances. Plus tard, il reverra Marion, petite Bretonne au sang vietnamien. Elle lit Cicéron sur la plage, se passionne pour Georges Perros et ne se sent réellement bien qu’en nageant. C’est une longue fille brune, troublante de sagesse. Elle ne peut que s’accorder à ce que, adulte, il est devenu : un doux rêveur qui place toute son énergie à s’abstraire de la fureur du monde, un peintre, un officier de la Marine nationale… Il y aura donc des soirs d’amour, un voyage, un exil de deux ans en Martinique, puis le retour, le mariage, la naissance de Louise, une mère exagérée et, insidieusement, le mufle hideux du réel. L’un peint, l’autre nage. C’est assez pour que l’amour fiche le camp.
Cette triste et douce histoire est celle de La grande nageuse. Après le terrible et magistral Gaston et Gustave (Mercure de France, 2011, prix Décembre), Olivier Frébourg revient aux rives d’un romanesque qui, ici, se promènerait entre Jacques Chardonne (pour la cruauté sourde) et Valery Larbaud (pour le voyage conçu comme une suite d’épiphanies). Il faut saluer son courage à assumer le risque d’une certaine désuétude, tout en y échappant par une écriture toute en pastels et en impressionnisme (à l’image des toiles, allant vers l’abstraction, du narrateur). Ce conte moral, aux accents parfois rohmériens, n’est pas qu’une éducation sentimentale, c’est aussi un roman de formation et une déclaration d’amour ardente, à la mer, aux marins, à la Bretagne, aux peintres et à toutes les belles choses que font parfois, et peuvent nous inspirer, les jolies filles.
Olivier Mony