De nos jours finalement, la seule chose qui soit plus rare que les romans d’amour, ce sont les romans d’amour réussis. Depuis (compte tenu de la subjectivité critique, bien entendu) La vie est brève et le désir sans fin de Patrick Lapeyre (P.O.L, 2010), en a-t-on lu de plus beau, de plus âpre aussi, que ce Pour la peau, deuxième roman d’Emmanuelle Richard, après le déjà très réussi et inaugural La légèreté (L’Olivier, 2014) ?
De nos jours, quelque part dans une ville de province qui reste indéfinie, mais dans laquelle on s’autorisera à reconnaître Bordeaux (un Bordeaux bien loin de son imagerie "gentrifiée", atone et horizontal), Emma, une jeune femme qui vient de quitter son compagnon, attend elle ne sait quoi, cherche un appartement. Elle trouvera E., son agent immobilier, un homme plus âgé qu’elle, plus triste peut-être, endeuillé de sa jeunesse et d’une femme qui l’a laissé. Parfait prototype d’animal urbain perclus d’égoïsmes et de velléités, il n’est vraiment pas le genre d’Emma (si elle en avait un). Il sera pourtant son Odette de Crécy, et fera son bonheur ; son malheur aussi bien. Il lui révélera son propre narcissisme, la comblant du plus grand chagrin possible, parsemant ses jours et ses nuits des spectres étranges du désir, de l’attente, de la solitude.
Rien que de très banal en somme, mais tout transfiguré par la grâce d’une écriture sèche, sauvage, lapidaire, à mi-chemin de la Annie Ernaux de Passion simple et de la Duras de la fin. La grande affaire de ce livre, c’est l’incarnation, le style, le frôlement. Le morcellement des corps répond à celui de l’amour, le réel est comme magnifié, excédé, dans un hyperréalisme troublant). En fait d’amour, il y a fort à parier que celui-là, chez Emmanuelle Richard, sera durable. O. M.