En 1987, Jerome Charyn inventait un nouveau personnage, à côté de son fameux Isaac Sidel. Sydney Holden, un tueur à gages torturé, enquêtant sur son propre passé. Sur son père, ancien MP en Europe durant la guerre, avant de devenir flingueur ; sur sa mère, Nicole, une Française qu’il n’a pas connue, mais qui ressemblait, dit-on, à l’actrice Maria Montez. Il n’y avait que Charyn, le plus français des écrivains américains, toujours entre New York et Paris, pour raconter des aventures pareilles, dans Paradise man, (devenu Frog dans sa version française), puis, quatre ans plus tard, dans Elsinore (Elseneur). Plus rien depuis.
Mais Charyn n’avait pas oublié son Holden, puisqu’il l’a ressuscité en 2006, grâce à Francis Dannemark, écrivain belge de talent et éditeur au Castor Astral. Ce dernier, préparant un vaste ouvrage, Bruxelles en Europe/L’Europe à Bruxelles, avait souhaité avoir sur le sujet le témoignage d’un Américain et invité Charyn à "venir passer un moment dans la capitale européenne pour y écrire une fiction bruxelloise". Défi relevé, qui nous vaut A La Mort subite, novella parue aux Etats-Unis en 2007, et aujourd’hui en français, séquencée par les clichés du photographe belge Michel Castermans. En noir et blanc, bien sûr, atmosphère oblige.
Holden, plus déprimé que jamais, quitte donc son Hôtel Aiglon de Paris pour le Métropole de Bruxelles, là même où son père est mort jadis, chambre 505, laissant derrière lui une malle aux souvenirs lourde à porter, dans tous les sens du terme. Que faisait-il là, Holden Senior, alors qu’il vivait dans le Queens ? Apparemment, l’arrivée du fils dérange : il exécute un autre tueur, Ramon, envoyé pour le liquider. Rencontre l’inquiétant Jonathan Raab, dont son père fut l’homme de main. Et la vénéneuse Louiza Boogarden, une tueuse aussi, ancienne des Royal Marines, au café A la mort subite. Elle a connu son père, lui révèle un grave secret concernant sa mère. Et c’est elle qui a missionné Ramon ! Sydney et Louiza ne peuvent que se plaire…
Tout cela est enlevé, conté avec humour, comme si Charyn s’amusait à se parodier lui-même, tout en imaginant la préhistoire de son personnage. Outre ses qualités romanesques, son suspense psychologique, A la mort subite remplit parfaitement son contrat : le texte met en valeur Bruxelles, ses bistros, son tramway, son waterzooi. "Morne plat", estimaient Astérix et Obélix, en visite Chez les Belges. Holden, lui, a l’air d’apprécier. Louiza, son charme et sa "tresse de cheveux blonds" n’y sont sans doute pas pour rien.
J.-C. P.