Nul n’est prophète en son pays, en particulier aux Etats-Unis, sur des sujets qui fâchent : en 1852, l’Indian Gallery de George Catlin (1796-1872), collection de ses dessins et peintures, ainsi que des objets qu’il avait rapportés de ses nombreux voyages, est en faillite. L’artiste, qui ne s’était quasiment plus intégré à la vie urbaine des Blancs depuis 1828, repart vivre chez ses amis Indiens, puis en Amérique latine, dans la jungle équatoriale. Mais le cœur n’y était plus. Le monde qu’il s’était choisi, celui des Amérindiens, allait bientôt disparaître - l’un des pires génocides de l’histoire -, les armes à la main ou par étouffement, à petit feu. Les tableaux et dessins de Catlin, outre leurs qualités artistiques, deviendront alors d’irremplaçables témoignages ethnographiques.
Tout a basculé, pour ce brillant avocat et peintre mondain de Philadelphie, lorsque, en 1828, il voit passer dans les rues de sa ville une délégation d’Indiens en route vers Washington. Coup de foudre. Catlin laisse tout tomber et va mener une vie d’errance, à représenter les Indiens d’Amérique, leurs us et leurs coutumes. Souvent dans des conditions périlleuses, et avec une stupéfiante rapidité d’exécution, sur le vif, comme un reporter : ainsi, durant cet été 1832 qu’a choisi de romancer Patrick Grainville, passé chez les Sioux le long du Missouri et du Mississippi, il a peint pas moins de 135 tableaux. Essentiellement des portraits, comme celui du chef Aigle Rouge. Un peu difficile à convaincre au début, puis conquis par la « magie » de cet homme blanc pas comme les autres. Seul, sans arme, venu librement, en ami du peuple indien. Rien à voir avec Bodmer, son rival, bien plus apprécié de ses compatriotes, grâce à ses compositions léchées.
Catlin et son Indian Gallery, créée en 1838, ont en revanche séduit l’Europe. Londres, puis Paris en 1845, où toute l’intelligentsia lui fait fête. Baudelaire, l’un de ses premiers admirateurs, le célèbre dans ses Curiosités esthétiques. Delacroix le vénère, tout comme Nerval, Hugo. Et George Sand, séduite aussi par les danseurs qu’il a amenés avec lui, lesquels se produisent devant Louis-Philippe. Tandis que Catlin immortalise l’événement, le roi des Français lui passe commande de toiles, aujourd’hui exposées au musée du Quai Branly. Peut-être la parution du livre de Patrick Grainville déclenchera-t-elle une exposition Catlin. Il l’a bien mérité.
Durant cet été 1832, il partage le quotidien des Sioux, leurs histoires, grandes ou petites, comme celle de la jeune Crow captive, ou de Winkte, « l’homme-mystère », un travesti respecté dans la tribu. Et puis il participe à la chasse au bison. «Les Sioux sont un peuple bison, écrit le romancier, et dans le bison tout est bon. » Les Blancs l’avaient bien compris : pour se débarrasser des Indiens, ils ont commencé par massacrer leurs bisons vitaux.
Tout en sobriété, pour une fois, à part quelques morceaux de bravoure (la chasse au bison), ou le lyrisme apocalyptique de la fin, Patrick Grainville a choisi en George Catlin un bien beau sujet. Il en a tiré un roman envoûtant, humain, qui donne envie de se replonger dans l’histoire des Indiens d’Amérique.
J.-C. P.