A-t-on assez dit et écrit combien Meyer et la catastrophe, le premier roman traduit en français du Sud-Africain Steven Boykey Sidley, paru l’an dernier chez Belfond, était un petit miracle de grâce, de drôlerie et d’insolence mêlées ? Un écrivain nous était né, héritier en ligne directe des grands satiristes judéo-américains à la Roth ou à la Richler. La parution cet automne de Borowitz broie du noir, son vrai premier roman cette fois-ci, en amène la plus éclatante des confirmations. Steven Boykey Sidley s’y montre tout aussi drôle et, d’une certaine façon, encore plus triste.
Soit un homme, la quarantaine, qui n’attend pas grand-chose de la vie pour en avoir déjà beaucoup obtenu. Jared Borowitz est un brillant physicien, flanqué d’une femme psychiatre aussi belle que compréhensive, d’une mère juive furieusement drôle et d’un meilleur ami dont le succès comme romancier lui a permis de prolonger indûment son adolescence. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si Jared ne s’était pas mis à broyer du noir et si toute manifestation de la sottise humaine, au premier rang desquelles toute religion ou croyance irraisonnée, ne lui apparaissait pas comme une injure. Il n’aurait pas fallu que ce soit le moment (crise de la quarantaine ou quel que soit le nom que l’on puisse donner à la tristesse d’un homme) pour que son vieux maître ne doive mourir et pour que, se rendant à Londres à son chevet, Jared n’y retrouve aussi sa première femme, laissée en statue de sel à la gloire du chagrin et désormais transformée en rayonnante lesbienne adepte des salles de sport et compagne d’une pasteure du rite anglican. Bref, le monde de Jared est triste et beau, et désormais un peu trop compliqué pour un esprit qui se veut aussi cartésien que le sien.
Boykey Sidley nous attache aux pas de son antihéros dont on suit les étapes de la dépression comme dans un thriller psychologique. Le propos, même allégé de l’humour désespéré dont il dote Jared, est noir comme dans un Philip Roth première manière. Pourtant, du fond de son désarroi qui est celui d’une génération, celui de l’homme blanc occidental sentant vaciller ses trop ancestrales certitudes, quelque chose surnage, quelque chose de fragile, d’incertain, l’aurore, l’amour ou la dignité. Olivier Mony