BD/France - 14 sept. Pierre-Henry Gomont

Pierre-Henry Gomont, qui a fait ses débuts dans la bande dessinée en 2010, s'est particulièrement fait remarquer il y a deux ans par une adaptation de
Pereira prétend d'Antonio Tabucchi (Sarbacane, 2016) (1). Il revient aujourd'hui avec son roman graphique le plus ambitieux et le plus personnel. Sur 190 pages portées par une énergie réjouissante, il brosse le portrait habité de Gabriel Lesaffre, bourgeois parisien déclassé et frustré, caractériel obsédé par le projet vain de relancer l'exploitation forestière familiale perdue en Afrique équatoriale, père narcissique imprévisible et inconséquent, aventurier pathétique et loser magnifique.

Ne perdant pas de temps, le dessinateur pose d'emblée la fin de l'histoire : imbibé d'alcool, noyé dans les volutes des cigarettes qu'il fume sans discontinuer, Gabriel succombera brutalement d'un infarctus après un ultime échange avec son avocat sur la situation désespérée de son entreprise. Auparavant, la vie de cette espèce de Don Quichotte tragique n'aura été qu'un long combat contre ses propres démons. La jeunesse de Gabriel ? un enchaînement de transgressions que ne parviennent jamais à contrecarrer toutes les sortes de punitions que le jeune homme subit ; des études sabotées ; un service militaire essentiellement passé aux arrêts. S'ensuit un mariage rapidement mis en pièces, dont sortiront toutefois trois enfants : Mathilde, Simon et Martin.

C'est alors que Gabriel trouve un sens à sa vie : reprendre et relancer l'exploitation forestière de Malaterre, au cœur de l'Afrique équatoriale ; y enraciner sa lignée en y emmenant ses deux aînés. Et le plus formidable est qu'il parvient, face à son ex-femme effondrée, à obtenir la garde des deux adolescents avant de les embarquer pour une aventure incertaine et improbable à 5 000 kilomètres de l'Hexagone.

Pierre-Henry Gomont ne réussit pas seulement, avec ce qu'il faut de tendresse et d'empathie, un beau portrait de père incompétent, emporté par sa folie. « Travaillant au domaine l'essentiel du temps, il les abandonne aux bons soins de Latifa, et réapparaît à l'occasion pour leur montrer la seule vie qu'il connaisse : festive, bigarrée, frivole. » L'auteur livre aussi une belle réflexion sur l'adolescence à travers les personnages de Mathilde et Simon, qu'il campe dans toutes leurs ambivalences. Les deux aînés de Gabriel sont fascinés et irrités à la fois par leur père, tantôt proche et même affectueux, tantôt autoritaire à l'extrême ou totalement absent. Ils sont aussi emportés par les vertiges de cette Afrique qui incarne pour eux une liberté nouvelle, et les conduit à des dérapages qu'on ne dévoilera pas.

Graphiquement, tout en confirmant son habileté à utiliser les couleurs, le dessinateur, chez qui on perçoit les influences d'un Christophe Blain ou d'un Blutch, a encore gagné en puissance. S'appuyant sur un découpage parfaitement maîtrisé et un texte précis, son trait est sans cesse en mouvement. Jusqu'aux rebondissements égrenés jusqu'aux toutes dernières pages du livre.

Pierre-Henry Gomont
Malaterre
Dargaud
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 24 euros ; 192 p. en Coul.
ISBN: 978-2-505-07275-1

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