C'est en 1524 que Giulio Pippi de' Jannuzzi, dit Giulio Romano - plus connu en France sous le nom de Jules Romain - quitte Rome pour Mantoue. Selon qu'il est né en 1492 ou en 1499, ce que l'on ignore, il a donc entre 25 et un peu plus de 30 ans, et il est en pleine possession de son talent, aussi immense que divers. Comme Raphaël, dont il était le disciple préféré, Giulio était avant tout dessinateur et peintre, mais aussi architecte, décorateur, concepteur de tapisseries, de stucs, de meubles, d'objets. D'ailleurs, à la mort prématurée de son maître, en 1520, c'est lui qui avait été choisi par le pape Jules II, commanditaire des fameuses Stanze de ses appartements du Vatican, pour en achever les fresques.
Pourquoi donc, alors qu'il était si "lancé" à Rome, sa ville natale, Giulio Romano a-t-il quitté la capitale de la chrétienté pour Mantoue, patrie de Virgile certes, mais obscur duché de la brumeuse et humide Lombardie ? D'aucuns émirent l'hypothèse que ce serait à cause des gravures libertines que l'artiste a réalisées pour illustrer des poèmes licencieux de son ami L'Arétin. Ce que réfute l'éminent Ugo Bazzotti, historien de l'art spécialiste de Jules Romain et ancien directeur du palais du Te, auteur du présent ouvrage : la pratique était courante et licite en Italie, en cette seconde partie de la Renaissance, à condition que le livre demeure dans des mains privées, et Giulio est parti de Rome avec le plein assentiment du pape, de qui il avait obtenu son congé, selon la coutume.
Non, il a tout simplement cédé à la proposition du duc Frédéric II Gonzague, marquis de Mantoue, modeste au départ : le réaménagement d'un ancien relais de chasse, situé dans une île non loin de la ville, qui allait donner naissance à l'une des plus éblouissantes réalisations, non seulement du Seicento, mais du génie humain. De ce simple palais du Te, Giulio Romano a fait son "chef-d'oeuvre absolu", ainsi que le saluèrent ses contemporains, comme L'Arétin. Ou l'empereur Charles Quint, qui le visite inachevé en 1530, mais ébloui. Même le duc, parfois impatient - et pourtant le chantier fut terminé en une dizaine d'années, de 1525 à 1535-1536, un prodige de rapidité pour l'époque -, a témoigné sa gratitude à "son" artiste en l'anoblissant et en lui confiant la responsabilité de tout le patrimoine artistique de Mantoue. Fortune faite, Giulio Romano y mourut en 1546.
Dans son Conte d'hiver, Shakespeare en personne rend hommage au "grand maître d'Italie" qu'il salue de "singe parfait de la nature" ! En général, on le définit plutôt, étant donné son inspiration, comme un "moderne antique et antique moderne".
Ugo Bazzotti et son équipe de photographes célèbrent l'artiste et son chef-d'oeuvre dans un livre d'une qualité exceptionnelle, notamment les chapitres sur papier mat, et d'une belle érudition. On regrettera juste que le profane n'y trouve pas, à la fin, une chronologie ni un petit glossaire des termes techniques d'architecture.