Il y a les pères et il y a les fils. Et puis la difficulté à être l'un et l'autre ou l'un puis l'autre. Et cette comédie du quotidien où toujours l'un ramène à l'autre. On ne se compare pas, on se souvient, et ce n'est pas toujours la meilleure des choses. Une bonne part du champ de la littérature contemporaine, notamment française, est occupée de ce va-et-vient et il est donc particulièrement heureux de voir ce qu'il fait - et comment Christophe Mouton renouvelle la question - dans Comment je suis devenu fréquentable.
Devenu père, d'une petite fille, si l'on a bien compris, le romancier s'affronte à l'ombre écrasante, aux fantômes odieux, de son enfance. C'est-à-dire, pour l'essentiel, son père. Un père qui n'entendait pas l'être, juste se donner en spectacle, celui de sa supposée réussite, de ses dons d'autant plus incontestables qu'ils ne sont revendiqués que par lui-même, de la soumission à sa personne et à ses supposées qualités qu'il impose à tous, femme comme enfant. En dehors de cela, point de salut, en dehors de cela, point de monde. Si ce n'est pétrifié dans cette obligatoire admiration. Même l'amour, fut-il empêché par la jalousie du père, de sa mère ne saura épanouir le jeune garçon écrivant quelques décennies plus tard : « Tout cela me rendra assez concerné par les problématiques féministes, pas vraiment en tant qu'être humain ou en tant que mâle, mais en tant qu'ex-être humain de petite taille, friand de câlins et attaché à leur qualité biologique sans chimie perverse. »
D'ailleurs est-on bien sûr que ce soit un être humain qui ait écrit ce coruscant petit livre ? Le jeu de massacre auquel s'y livre avec un humour réjouissant et une violence qui ne l'est pas moins, Christophe Mouton est d'abord celle d'un écrivain. Tout ici est interrogé par le prisme d'un enfant qui ne comprend rien et pressent tout. C'est-à-dire, la société, les rapports de domination, la perversion narcissique à l'œuvre même chez ceux que l'on aime le plus, la façon d'inverser par la soumission le rapport de force initial. Il ne s'agit pas de l'une de ces confessions masochistes qui font parfois les petits livres et les grosses ventes, mais d'un authentique texte, travaillé jusqu'au tréfonds de lui-même, par la seule chose qui puisse à la fois sauver et dégager en touche le malheur : l'écriture.
Comment je suis devenu fréquentable
Fayard
Tirage: 1 200 ex.
Prix: 17 euros ; 180 p.
ISBN: 9782213716657