3 avril > Roman Etats-Unis

Au début, il y a une femme à sa fenêtre. Elle attend. Elle s’appelle Helen, elle a 40 ans et des poussières, elle ne voit pas très bien qui cela peut intéresser de se demander si elle est encore belle. Mariée à Ben, brillant avocat d’affaires à Manhattan, elle a eu avec lui une fille, Sara, désormais adolescente, que le couple a adoptée quelque part en Asie. C’est son mari qu’elle attend ce soir-là, dans cette maison de banlieue chic, qu’elle ne peut raisonnablement parvenir à considérer comme sienne. Rien d’ailleurs ne semble vraiment lui appartenir dans sa vie. Rien, pas même sa tristesse. Rien, hormis un ou deux souvenirs d’enfance, des baisers échangés avec un garçon devenu vedette de cinéma. Depuis, Helen attend Ben qui, un jour, ne viendra plus (dépression, maîtresse, divorce, l’ordinaire de la chute des seigneurs). Réfugiée à New York, elle réinventera sa vie en se découvrant des dons inattendus pour la "gestion de crise" qu’elle place opportunément au service d’individus et de société en quête de désastres comme de rédemption.

Sans doute n’est-il pas nécessaire d’être exagérément pénétrant pour considérer que la gestion de crise, profession de l’héroïne de Mille excuses, son troisième roman traduit en français, est vue par Jonathan Dee comme un paradigme de celle de romancier. En tout cas, telle qu’il l’exerce depuis la publication des Privilèges (Plon, 2011, prix Fitzgerald), puis de La fabrique des illusions (Plon, 2012). Ce livre-là sera peut-être pour Dee celui de la confirmation éclatante tout à la fois de sa capacité d’incarnation (qui en fait peut-être le plus digne successeur de Richard Ford) comme de son génie moraliste qui, lui, le rapprocherait plutôt d’un Salter ou d’une Joan Didion. Il ne laisse jamais ignorer à son lecteur d’où il lui écrit : un monde où la spiritualité n’est plus qu’une méthode parmi d’autres pour renforcer les lois du marché, un monde où le souci d’autrui apparaît comme une faiblesse charmante et désuète. Humains, trop humains, les personnages de Dee y laisseront leur vie ou, plus grave, leurs illusions. Le reste n’est que littérature et consolation. O. M.

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