C’est une histoire incroyable, un conte de fées moderne, le parfait remède face à la sinistrose ambiante. Comment Eun-ja Kang, une jeune campagnarde coréenne, la benjamine d’une famille misérable, parvient, grâce à son intelligence, à son travail acharné, à la solidarité sans faille et aux sacrifices de sa famille, à mener des études plus que brillantes, et à exaucer son rêve, le plus fou qui se puisse imaginer. Au collège, Eun-ja s’était prise de passion pour la langue française, pour tout ce qui venait de France, et avait découvert avec ravissement Le Petit Prince de Saint-Exupéry. « Je tombe immédiatement amoureuse du Petit Prince qui me salue debout sur une planète », écrit-elle. Ensuite, elle dévorera Le rouge et le noir, ou A la recherche du temps perdu. Surtout, parce que «le français a une âme », la bonne élève qui tenait son journal a voulu passer au stade supérieur : devenir écrivaine, en France et en français.
Au terme d’un véritable parcours du combattant, d’années d’humiliations et de souffrances - parce que sa mère, veuve, n’avait pas les moyens de payer régulièrement ses frais de scolarité, c’est son frère aîné, Jong-seok, pourtant brillant lui aussi, qui s’est dévoué et a assumé la lourde charge de chef de famille -, Eun-ja est arrivée à décrocher tous les concours, toutes les bourses. En 2002, tous ses proches se cotisant, elle arrive enfin en France, à Dijon, où elle soutient sa thèse de doctorat. Et puis elle écrit son livre, directement en français, où elle raconte son histoire, ses tribulations. Et tente de le faire publier ici. En vain, jusqu’à ce que le manuscrit obtienne une bourse de la Fondation Cino del Duca. On connaît la suite.
Même si L’étrangère est un récit plein de bons sentiments - surtout au début, puisque c’est une enfant qui s’exprime -, Eun-ja Kang ne tombe jamais dans le gnangnan. C’est au contraire une fille au caractère bien trempé, et très moderne, en particulier en matière de mœurs : étudiante à Séoul, elle a succombé au charme de son premier amant, Jin-ho, un économiste de bonne famille, jaloux, possessif et traditionaliste avec qui elle a vécu en concubinage notoire, mais qu’elle a refusé d’épouser, se faisant avorter. Elle l’a aussi trompé avec un autre garçon, plus jeune, avant leur rupture définitive.
Au regard de la société coréenne, elle était une « fille perdue ». Mais ce qui passait avant tout, pour elle, c’est la vocation qu’elle s’était choisie : apprendre le français, non point « pour gravir des échelons » sociaux, mais « pour écrire des romans en français ». Bienvenue. Jean-Claude Perrier