Il y a chez le lecteur français amateur de littérature britannique contemporaine quelque chose qui pourrait s'apparenter à une curieuse forme de misogynie. Si Ian McEwan, Julian Barnes, Jonathan Coe ont su durablement trouver leur place dans nos bibliothèques, qui se souvient d'Antonia Byatt et qui lit encore les grandes Muriel Spark ou Iris Murdoch (liste non close) ? « Ladies first », mais pas partout, manifestement. Il faut donc espérer que cette « prévention », même inconsciente (et surtout si elle l'est, en fait), tombera à la lecture de l'admirable Rosie, mémoires infiniment subtiles, gracieuses et cruelles, d'enfance et de jeunesse, de Rose Tremain. De celle-ci, qui est aujourd'hui l'une des reines incontestées du paysage littéraire anglais, on a pu retenir parmi la douzaine de livres déjà traduits les très beaux textes Le royaume interdit (de Fallois, 1994, prix Femina étranger), La couleur des rêves (Plon, 2004) ou plus récemment L'amant américain (JC Lattès, 2016). L'exercice autobiographique auquel elle se livre dans Rosie est certes profondément classique, presque un passage imposé dans une carrière d'écrivain (songeons comment tout récemment, son compatriote David Lodge y a sacrifié ou avant lui, Michael Ondaatje) ; mais d'un classicisme exhaussé par l'élégance de l'écriture et partant de la pensée.
C'est l'enfance, donc. Du premier souvenir (un bout de ciel, peut-être) jusqu'à ses 17 ans. Ce pays d'où l'on ne revient jamais vraiment, à moins d'y revenir... Une enfance heureuse, c'est-à-dire où le chagrin des jours est surpassé par les épiphanies qu'égrène le souvenir. L'enfance d'une petite fille rousse (et qui n'avait de vraiment indiscipliné que cette chevelure, justement) qui n'aimait rien tant que de courir les champs et les bois du domaine de ses grands-parents maternels. Autrement, dans ce Londres de l'après-guerre qui s'apprête à se réinventer, le père est un dramaturge qui ne sait pas qu'il doit bientôt passer de mode, la mère bovaryse égoïstement de son côté. Il y a une sœur, un peu plus grande, avec qui la complicité est presque sans faille, et une nurse qui amène à la petite Rose dite Rosie (surnom qu'elle déteste) tout l'amour que ses parents n'ont ni le temps ni le goût de lui offrir. Il y aura aussi la vie de pensionnat des jeunes filles de la « gentry », des couples qui se séparent puisque plus rien après la guerre ne saurait être pareil, des familles recomposées, des chagrins qui passent l'air de rien, des garçons à l'horizon et puis la Suisse, et puis Paris, la Sorbonne. La vie peut commencer.
Rose Tremain écrit tout cela avec la distinction innée non de sa classe, mais de ceux qui savent qu'il n'est jamais, en matière de soi, besoin d'insister. Bien sûr, ce monde qu'elle exhume, ces mondes ont disparu. Restent la douleur et le souvenir de son avers. Reste la littérature.
Rosie : une enfance anglaise - Traduit de l’anglais par Françoise Du Sorbier
JC Lattès
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 18,90 euros ; 220 p.
ISBN: 9782709662437