Reportage

Une journée à L’Aube

La maison qui abrite les bureaux de L’Aube. - Photo Pauline Leduc/LH

Une journée à L’Aube

Livres Hebdo a passé vingt-quatre heures à La Tour-d’Aigues, aux côtés de Manon Viard, secrétaire générale de L’Aube et fille des fondateurs de la maison, créée il y a trente ans, et dont elle reprendra un jour le flambeau.

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Par Pauline Leduc
Créé le 25.08.2017 à 12h36

10 h 15. L’attente en gare d’Aix-en-Provence n’aura pas été longue. Manon Viard, éditrice-secrétaire générale de L’Aube et fille du couple fondateur de la maison, arrive, elle aussi, du TGV en provenance de Paris. Un aller-retour éclair comme elle a l’habitude d’en effectuer une fois par mois. "Ces déplacements sont importants mais une grande partie de nos échanges avec les auteurs se déroulent de manière épistolaire, ce qui crée des liens intimes : être éditeur de province ou de littérature étrangère, c’est un peu la même chose en fait", s’amuse-t-elle. Sur le parking de la gare, Laura Imbert, assistante de communication de la maison, attend au volant de la voiture. Une quarantaine de minutes après, durant lesquelles se sont succédé des paysages dignes d’une publicité pour la région Paca, apparaît La Tour-d’Aigues. C’est là, dans ce petit village où ils vivent encore, que le sociologue Jean Viard et Marion Hennebert ont lancé, il y a presque trente ans, L’Aube. Clin d’œil aux éditions de Minuit, ce nom fait aussi référence au rôle de passeur d’idées, central chez cet éditeur dont la ligne éditoriale généraliste et engagée entend "aider à éclairer et améliorer le monde".

Manon Viard et Marie Boggio discutent des couvertures des ouvrages de la rentrée. - Photo PAULINE LEDUC/LH

11 h. A l’écart du centre, la bâtisse ancienne dont L’Aube occupe le rez-de-chaussée passerait pour un logement d’habitation sans la plaque dorée indiquant son existence. Sitôt entrée dans les locaux, dont l’épaisse pierre blanche protège de la chaleur, Manon Viard parcourt les petits bureaux, ouverts les uns sur les autres, prenant et donnant à chacun des nouvelles des dossiers en cours. Les fondateurs étant en déplacement, c’est l’éditrice de 29 ans, entrée à L’Aube comme stagiaire il y a six ans, qui tient les rênes de la maison. Une situation qui n’a rien d’exceptionnel. "Jean gère la société et la collection essais, tandis que Marion s’occupe de la littérature, mais ils ne sont pas là tous les jours ; on se consulte au quotidien par téléphone." D’abord responsable des relations avec les auteurs, puis directrice de la collection polar, secrétaire générale et plus récemment éditrice de titres en littérature, Manon Viard a "le nez partout" et se prépare en douceur à reprendre le flambeau familial, "lorsque le moment sera venu". Tout en s’inscrivant dans l’esprit de la maison, elle a impulsé un rajeunissement des auteurs du catalogue et une présence accrue de la marque sur les réseaux sociaux.

Laura Imbert s'occupe de commander la batterie portative à l'effigie de l'Aube qui sera envoyée aux journalistes et libraires pour l'anniversaire de la maison. - Photo PAULINE LEDUC/LH

12 h 30. "J’ai réservé pour la piscine, ça marche pour tout le monde ?" lance Laura Imbert. Chaque jeudi midi - "ou presque", tempèrent ses collègues -, plusieurs des membres de L’Aube, tous âges confondus, participent à un cours collectif d’aqua-tonique. Dans cette maison de cinq salariées, sans compter la dizaine de free-lances, la complicité est évidente. Les membres de l’équipe, exclusivement féminine, travaillent de manière indépendante mais passent beaucoup de temps ensemble, entre les covoiturages mis en place matin et soir - deux d’entre elles n’ont pas le permis - et les week-ends passés à sillonner les salons du livre. D’où une ambiance familiale et intime, à laquelle elles tiennent doublement. "C’est précieux pour nous mais aussi pour les libraires et auteurs qui apprécient une maison à taille humaine." Avant que l’équipe ne trouve son équilibre, plusieurs collaborateurs sont passés brièvement à L’Aube ces dernières années. "Travailler dans un village de Provence peut faire rêver, notamment quand on est à Paris, mais il n’y a pas grand-chose à proximité immédiate, c’est une vie qui ne peut pas plaire à tous."

14 h. Tasse de thé à la main et sourcils froncés, Manon Viard s’attelle à remplir "le Tab", comme elle appelle l’imposant fichier Excel où les salariées complètent et consultent l’ensemble des dépenses et recettes de la société. En 2009, la maison a connu de sévères difficultés économiques qui l’ont amenée à déposer le bilan avant que la marque "Editions de l’Aube" ne soit rachetée par la société du Moulin (appartenant à des amis et auteurs de l’éditeur) dont Harmonia Mundi, son diffuseur-distributeur, est actionnaire à 20 %. Un "épisode pénible" dont ils sont sortis plus vigilants. Huit ans après, la maison affiche un chiffre d’affaires pour l’année 2016 de près d’un million d’euros et "une croissance constante depuis trois ans". L’éditeur, qui propose 80 titres par an, s’appuie sur des figures reconnues comme Stéphane Hessel, Olivier Roy ou Edgar Morin, mais aussi sur des plumes montantes comme le Portugais David Machado. "Notre collection "Le 1 en livre", coéditée avec l’hebdomadaire Le 1 depuis un an, participe aussi à notre rayonnement", note Manon Viard. Les quatre premiers titres, dont Macron par Macron - environ 30 000 exemplaires écoulés depuis sa parution en mars -, sont systématiquement entrés dans les meilleures ventes GFK/Livres Hebdo.

15 h 30. Dans la grande salle de réunion, l’équipe fait le point sur les multiples ordres du jour. Entre la promotion de la rentrée littéraire sur les réseaux sociaux, les festivités pour les 30 ans de L’Aube, les derniers ajustements autour de "Mikros", la nouvelle collection de poche qui arrive en librairie fin août, et le nouveau site de la maison dont la mise en ligne est prévue pour la rentrée, le planning est très chargé. Et c’est sans compter sur les nouvelles de dernière minute. Marie Boggio, chef de fabrication, a reçu le devis de Yenooa, un cabinet graphique de La Roque-d’Anthéron qui se lance dans l’imprimerie. L’Aube qui tire 60 % de ses ouvrages en Bulgarie souhaiterait autant que possible privilégier une impression en France.

17 h. Hélène Degans, assistante de direction, s’occupe des derniers préparatifs pour la soirée des 30 ans qui se tient en fin de semaine chez Jean Viard et Marion Hennebert. Les sacs en papier qui devaient contenir les cadeaux offerts à la soixantaine d’invités - majoritairement des auteurs du catalogue - sont en rupture de stock. Une fois les nouveaux modèles choisis, l’équipe fait le point sur la répartition des tâches le jour J. Tandis que Clémentine Cherifi, l’assistante d’édition, s’occupe du traiteur et du glacier, Laura Imbert récupère des invités à la gare, Manon Viard s’occupe des courses en ligne. Au-delà des festivités du week-end, Laura Imbert prépare des opérations dans les librairies de la région.

19 h 30. Manon Viard s’improvise guide touristique et détaille au fil de la route les reliefs gondolés du Luberon. Du cimetière de Lourmarin, où repose Albert Camus, à la superbe terrasse de L’Art Glacier - "le meilleur du département" - en passant par le charme de Cucuron. "J’avais peut-être oublié de prévenir que j’étais chauvine", rigole l’éditrice. Amoureuse de ces terres où elle a été conçue en même temps que L’Aube, elle a pourtant hésité à construire sa vie dans le village de son enfance. Celle qui se rêvait juge pour enfants n’a pas toujours voulu mettre ses pas dans ceux de ses parents. Mais la passion du métier a eu le dessus. Depuis peu, et après un "travail acharné", elle a réussi à dompter son complexe de "fille de". En juin, Jean Viard - qui a rejoint En marche ! - est arrivé en tête du premier tour des élections législatives dans la 5e circonscription du Vaucluse. "Avant sa défaite au second tour, on avait abordé concrètement et sereinement la possibilité que je prenne la relève." A l’aube de ses 30 ans, l’éditrice n’est pas pressée, mais prête.

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