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Une quille ou un glaçon

John Irving - Photo Ejane Sobel/Seuil

Une quille ou un glaçon

Dans l’Amérique puritaine de la fin des années 1950, un jeune garçon découvre sa bisexualité. John Irving signe ici un roman très politique et joliment ambigu.

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Par Olivier Mony
avec Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 11.10.2013 à 23h52

Cette fois-ci, il a fait fort. John Irving n’a jamais eu peur de lui-même ou de son ombre, jamais eu peur de sa puissance narrative ni de l’intensité de ses obsessions et de sa capacité à les faire partager au plus grand nombre de lecteurs. Il publie aujourd’hui son treizième roman, A moi seul bien des personnages (citation extraite de Shakespeare et Richard II), le plus beau sans doute depuis Une veuve de papier (Seuil, 1999), le plus cristallin aussi et, paradoxalement, le plus « glauque ». Dans l’Amérique de la fin des années 1950, qui feint encore d’ignorer que l’âge de l’innocence est passé et ne reviendra plus, Billy Abbott (ou Dean, suivant le père qu’il se reconnaît…), un jeune garçon qui découvre peu à peu sa bisexualité, va tomber amoureux d’une transsexuelle qui pourrait avoir l’âge de sa mère… Et ce petit jeu terrible, « est-ce une quille ou un glaçon », n’est que le début d’un capharnaüm sexualo-littéraire, un jeu de cache-cache avec les identités dans lequel le romancier, accompagnant son personnage sur plus d’un demi-siècle, s’autorise tous les excès, toutes les folies, toutes les tendresses.

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Même s’il s’en défend, bien entendu, Billy c’est lui, John Irving. Lui et sa passion un peu torve pour la lutte et les lutteurs, sa fascination pour les comédiens aussi, les petites troupes de théâtre, le réenchantement du monde. C’est lui, ou au moins celui qu’il aurait pu devenir à l’heure des choix qui engagent une vie. Si le désir est dans sa nature affaire de mutation, d’indécision ; à l’adolescence, cette mutation est la norme. Pour Irving, cet âge des possibles est aussi celui de la découverte, charnelle, de la lecture, des « pouvoirs » de la littérature. Ne dit-il pas : « ce qui m’a fait écrivain, c’est la combinaison de ce que j’ai lu et de ce que j’ai sexuellement imaginé » ? Ainsi ses romans écrits à la première personne du singulier sont-ils toujours des confessions plus ou moins masquées (et de moins en moins avec le temps) autour des tabous sexuels. Ici, Billy, qui n’a jamais lu, est amené par son jeune beau-père pour qui il ose à peine reconnaître éprouver quelque béguin, à la bibliothèque municipale de sa petite ville. Il fera donc en même temps connaissance avec la sculpturale Miss Frost, bibliothécaire aux petits seins, et avec l’œuvre des sœurs Brontë. Il est des découvertes qui sont autant d’épiphanies… Ce goût des marges, cette jubilation romanesque à s’ébrouer au sein des interdits d’une société fondamentalement puritaine, ne surprendrent pas les lecteurs fidèles d’Irving, ni ceux qui savent que, pour lui, La chambre de Giovanni de James Baldwin, roman de formation gay s’il en est, eut l’importance dévolue le plus souvent, pour sa génération, à L’attrape-cœur de Salinger. Dans ce A moi seul bien des personnages d’une folle liberté, salué aussi bien par Edmund White que Jeanette Winterson, machine de guerre romanesque contre le conservatisme bourgeois, les hommes sont des femmes comme les autres, les grands-pères aiment bien le soir venu enfiler une robe et les femmes sont fatales lorsqu’elles ont un pénis. On connaît en ce moment en France quelques centaines de milliers de manifestants à qui cela ne va pas faire plaisir… Tant pis pour eux, ils ne savent pas ce qu’ils ratent. Olivier Mony

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