Jeanne-Claude est morte. Il a fallu à la presse généraliste près de quinze jours pour annoncer, en quelques lignes, la disparition de celle que peu mentionnaient déjà de son vivant, lorsqu’ils commentaient l’ « emballage » du Pont-neuf ou du Reichstag, les portiques de Central Park, ou encore les 80 hectares de toile rose fuschia entourant le chapelet d’îles au large de Miami. La compagne de Christo est décédée le 18 novembre d’une rupture d’anévrisme. Elle était française, née Denat de Guillebon, le 13 juin 1935, le même jour que Christo. Selon ce dernier : « Les réalisations destinées à l'extérieur sont signées par Christo et Jeanne-Claude, les dessins par Christo ». C’est dire si la dame bénéficie véritablement du statut de co-auteur, au sens artistique mais aussi juridique. L’oublier est tentant, mais surtout périlleux lorsqu’il s’agit d’éditer un ouvrage où figure ce que le Code de la propriété intellectuelle qualifie d’ « œuvre de collaboration ». Dans cette partie du droit, les chausse-trapes sont nombreuses et les éditeurs continuent de s’y précipiter tels des lemmings, payant leur méconnaissance de dommages-intérêts substantiels. D’où la nécessité de ce petit vade-mecum recensant les points vitaux : - le droit distingue trois sortes d’œuvres dont l’élaboration a nécessité l’intervention d’au moins deux personnes : les œuvres de collaboration, les œuvres collectives et les œuvres composites. « Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ». Et nombre de livres rentrent dans cette catégorie. Car les apports respectifs peuvent être de même nature (chacun écrit une partie de l’ouvrage, façon Boileau-Narcejac) ou totalement différents (Uderzo et Goscinny). Pour que ce statut s’applique, il n’est pas nécessaire que les auteurs aient véritablement travaillé de concert. Edition jeunesse, BD, « beaux livres », entretiens, récits des grands de ce monde (footballeurs, staracadémiciens, supervoyous, etc.) ayant cosigné avec un « nègre »… : les tables de librairie sont donc couvertes d’œuvres de collaboration. - les coauteurs se partagent la propriété de l’œuvre : le code dispose que « l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs » et que « les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord. En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer ». Chacun reste maître de son propre apport si celui-ci est individualisable et à condition que son exploitation séparée ne porte pas préjudice à l’ensemble. Ce qui est plutôt rare en pratique. Dans tous les autres cas, l’accord de l’ensemble des coauteurs, voire de leurs héritiers, est indispensable. Le contrat d’édition ainsi que les avenants qui viendront le compléter au gré de l’arrivée de nouveaux supports doivent être cosignés Ajoutons au problème que la loi range les œuvres audiovisuelles sous ce régime (sont présumés coauteurs le réalisateur, mais aussi le scénariste, le dialoguiste, etc.) ; et que nombre d’airs connus (de l’opéra à la chanson) ont été écrits par un tandem (l’un au stylo, l’autre au clavier). Utiliser une part d’une telle œuvre ne se fait pas sans penser (juridiquement au moins) aux coauteurs. - Enfin, la durée des droits sur une œuvre de collaboration est de 70 ans jusqu’après la mort… du dernier survivant des coauteurs. De son vivant Jeanne-Claude avait, conjointement avec Christo, assigné plusieurs contrefacteurs devant les juridictions parisiennes. Nul ne sait, pour l’heure, quand le Pont-Neuf, emballé par leurs soins, tombera dans le domaine public. Seule certitude (et triste réconfort), la mémoire de Jeanne-Claude survivra, d’ici-là … dans les tribunaux.
15.10 2013

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