Ne plus taire la misère. Ne plus se terrer dans le silence. Ne plus s'enfermer dans un passé plombant. Telle est l'ambition de Kerry Hudson avec ce texte coup de poing. Prix Femina étranger 2015 pour La couleur de l'eau, cette jeune auteure a le courage de revisiter son enfance désespérée. Oui, elle s'en est sortie, mais son parcours violent est celui d'une miraculée. Direction le quart-monde, qu'on refuse souvent de voir. Pour l'auteure « être née pauvre n'est pas simplement une affaire d'argent, c'est une psychologie et une identité ». La sienne est ancrée dans une famille dysfonctionnelle. Une mère de 20 ans, « pleine de fêlures et extrêmement naïve », un père presque toujours absent. L'alcool et les nombreux déménagements entre l'Écosse et l'Angleterre déstabilisent cette gamine pas comme les autres. Elle se retrouve éternellement rejetée par ses parents comme par ses camarades de classe.
Kerry Hudson a tout vu, tout entendu, tout connu, y compris les familles d'accueil, les agressions, la solitude ou la somatisation. « J'avais souvent l'impression de n'avoir jamais été enfant, que seuls existaient ces dix-huit années accablées de vie d'adulte. » Son récit, à la première personne, nous offre toutefois une respiration, en alternant un passé étouffant et le présent dans un amour réconfortant. Affrontant ses démons, l'écrivaine retourne sur les lieux de son enfance brisée. Certains ont cheminé vers la modernité, d'autres ont gardé l'empreinte de ces moments aliénants, où elle ne trouvait pas sa place dans le monde.
Kerry Hudson a sombré à son tour, dans la spirale de l'alcool, du sexe et des petits boulots. Les livres l'ont sauvée, mais le succès n'efface pas ses plaies. Sa force intérieure en fait une survivante. Elle ne se contente pas de parler de son sort, elle transforme son témoignage glaçant en manifeste politique, désamorçant les clichés sur la pauvreté et dénonçant sa fatalité. « Beaucoup de monde a intérêt à ce que les pauvres restent pauvres. Une grande partie de la société pense que la pauvreté est un choix ou un échec. » Il n'en est rien, mais il reste difficile d'en sortir. « Je crois qu'il est possible de changer l'avenir », écrit Kerry Hudson, qui en est la preuve. Même si le combat n'est pas fini, il a trouvé une voix à travers ce texte juste et puissant.
Basse naissance - Traduit de l'anglais par Florence Lévy-Paoloni
Philippe Rey
Tirage: 7 500 ex.
Prix: 20 euros ; 288 p.
ISBN: 9782848767864