Il y a parfois de ces injustices ! Ainsi Joseph Vacher, vagabond pathétique et halluciné, assassin multirécidiviste dans la France de la fin du XIXe siècle que les échotiers de l’époque ne tardent pas à nommer le "Jack l’éventreur du Sud-Est", alors que vu leurs "palmarès" respectifs, il eût été plus juste de nommer Jack l’éventreur le "Joseph Vacher de Londres". Que l’on en juge : au fil de ses pérégrinations et avec une préférence marquée pour les très jeunes bergères ou bergers, Joseph Vacher (immortalisé au cinéma en 1976 sous les traits de Michel Galabru dans le très beau film de Bertrand Tavernier Le juge et l’assassin) reconnut, lors de son arrestation en 1897, douze meurtres, mais l’instruction lui en attribuera une trentaine. Chacun de ces meurtres étant précédé et suivi d’actes de barbarie. Exécuté à l’aube du dernier jour du siècle, Vacher, qui vécut ballotté d’un asile d’aliéné à l’autre, partit sans qu’on puisse déterminer s’il était fou ou le produit égaré de son temps, un prophète de malheur qui se prétendait suivant les jours envoyé de Dieu ou de Jeanne d’Arc.
La réponse à cette question est dans le captivant Vacher l’éventreur que publie Régis Descott. Les lecteurs de ses huit livres précédents, où l’Histoire côtoie souvent le noir, savent que chez Descott, le glauque se présente souvent en habit de fête. Là, plutôt que de nous servir un ordinaire roman historique de serial killer, l’auteur a l’idée - lumineuse - de ne pas l’écrire, mais de le composer en quelque sorte, de laisser la parole aux journaux de l ‘époque, aux extraits de procès-verbaux, à la correspondance de l’assassin ou des magistrats instructeurs. Le portrait chinois qui se dégage alors est d’autant plus atroce.
Olivier Mony