Le pays d'accueil est frontalier et on y parle la même langue. Pourtant, rien ne semble vaincre l'isolement que ressent la jeune femme qui y a trouvé asile avec son compagnon et sa petite fille de 2 ans, après avoir fui leur pays en proie au chaos politique et économique. Vénézuélienne exilée en Colombie, elle confie son immense solitude dans des lettres adressées à Franz Kafka, le seul auprès de qui elle a le sentiment de pouvoir s'épancher, elle qui a coupé les ponts avec sa famille et n'a « aucun ami de chair et d'os ». S'épancher n'est d'ailleurs pas le mot : il est trop mélodramatique et ne convient pas à sa confession sans états d'âme, à sa lucidité brute.
Dans la réalité de la migration que décrit Vaitiere Rojas Manrique, inspirée de son propre exil du Venezuela en 2018, il y a la précarité matérielle du quotidien que subit cette diplômée reléguée au bas de l'échelle sociale, qui dissimule son accent pour se protéger de la xénophobie ambiante. Mais il y a aussi la dépression ancienne, la fragilité existentielle que la jeune mère tente d'apaiser en se soumettant sans conviction aux diagnostics et aux traitements des « docteurs de l'esprit ». Migrante, elle l'est aussi dans sa propre tête - « Je me traîne deux exils » - sans autre refuge que les mots et la poésie qu'elle couche dans ce journal dépouillé de tout pathos ou qu'elle lit dans les livres si rares. Tu parles comme la nuit emprunte son titre à un poème de l'Argentine Alejandra Pizarnik (1936-1972) qui écrivait, un an avant son suicide : « Écrire, c'est donner un sens à la souffrance. »
Tu parles comme la nuit Traduit de l'espagnol (Venezuela) par Alexandra Carrascot
Rivages
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 16 € (prov.) ; 176 p.
ISBN: 9782743652500