Surmontant l'éditorial de Corbières Matin, la dernière édition du quotidien de la saison 2019 du Banquet du livre et des générations à Lagrasse, qui fêtait cette année ses 25 ans sur le thème « Transformer, transfigurer », il y a la photographie d'une simple assiette assortie du carton : « type de vaisselle employée lors du dîner où fut décidée la création des éditions Verdier ». Tiré de l'exposition hommage à 40 ans d'édition, ce cliché ironiquement fétichiste, est un bon symbole de ce qu'est la maison : un lieu où les amis des livres ont table ouverte depuis 1979.
Il y a quarante ans donc, autour d'une table toujours là, au lieu-dit Verdier à Rieux-en-Val dans les Corbières, quatre étudiants en lettres et philosophie à Toulouse, militants actifs de la Gauche Prolétarienne, partant du constat « de l'inabouti partiel » des années gauchistes, prononçaient la dissolution de l'organisation maoïste et concrétisaient « l'envie de retourner à l'essentiel, aux textes fondamentaux », ainsi que le racontait l'un des convives de ce repas inaugural, Gérard Bobillier, dans un entretien au Matricule des anges en 1992.
Quelque 800 livres plus tard, Colette Olive, cogérante avec Michèle Planel depuis la disparition du charismatique « Bob » il y a tout juste dix ans, entretient la flamme. La petite maison a fait communauté, grande par son exigence et son rayonnement intellectuel. Un modèle de fidélité ? Gérard Bobillier avait tiqué sur le mot il y a 20 ans. De persévérance et d'intégrité, alors.
Livres Hebdo : Vous célébrez 40 ans d'édition mais aussi d'indépendance. Avez-vous parfois songé à vendre ou à adosser la maison à plus gros que vous ?
Colette Olive : Non, malgré les difficultés traversées, les deuils, nous n'avons jamais renoncé à notre indépendance, à poursuivre notre parcours tracé dès nos débuts. Gérard Bobillier, sur son lit d'hôpital, suivait au jour le jour l'activité de la maison.
LH : Sa mort a été le moment le plus critique de ces quarante dernières années ?
C. O. : Il y a eu l'année 2003 avec la disparition en juin de Charles Mopzik (NDLR : créateur de la collection « Les dix Paroles », consacrée aux grands textes de la tradition hébraïque, l'ossature du catalogue Verdier) suivie de la mort foudroyante de Benny (Lévy) en octobre. Un ébranlement... La maladie et la mort de Bob le 4 octobre 2009, nous a obligé à une réorganisation de la maison - nous avons intégré une gestionnaire à mi-temps ainsi qu'une attachée de presse. Grâce à l'implication de l'équipe, à nos deux collaboratrices Émilie Thomas et Mathilde Azzopardi, entrées toutes jeunes dans la maison, nous avons pu assurer la continuité et la cohérence de notre petite structure.
LH : Comment les mutations du paysage du livre ces quarante dernières années vous ont-elles affectés ?
C. O. : Nous devons toujours être très vigilants et gérer au plus serré : coûts de fabrication, tirages, sur-stockage... utiliser aussi les aides publiques dans la mesure du possible d'autant que nous publions bon nombre de traductions. De sorte que ces efforts conjugués nous permettent de continuer à nous engager sur des projets tels que L'Histoire des traductions en langue française en 4 volumes ou les Œuvres de Vélimir Khlebnikov.
LH : La librairie a changé aussi. Certains libraires qui vous suivent et dont vous dîtes qu'ils ont été vos plus précieux soutiens commencent à passer la main.
C. O. : Ce sont eux qui ont fait notre force et leur attention, leurs relais sont essentiels. L'embauche par notre diffuseur, le CDE, d'un représentant qui s'occupe spécifiquement du fonds des maisons diffusées, a été très importante pour nous qui réalisons plus de 50% de notre chiffre d'affaires avec le fonds. Cela nous permet d'améliorer la visibilité du catalogue. Et les réunions organisées plusieurs fois par an en région offrent l'occasion de rencontrer la jeune génération de libraires, qui forcément nous connaissent moins bien. Fort heureusement on voit naître de nouvelles librairies que nous avons à cœur d'accompagner au mieux. Nous avons la chance d'avoir encore en France un réseau de librairies indépendantes que nos confrères européens nous envient.
LH : Etes-vous inquiète de l'évolution des pratiques de lecture, de la place du livre dans la société ?
C. O. : Notre rapport au temps a énormément changé ; c'est un constat. Or la lecture c'est du temps. Ce n'est pas du zapping. Les enseignants remarquent aussi ce morcellement de l'attention chez leurs élèves.
Pour ce qui nous concerne, nous avons choisi le livre, le papier, et sommes condamnés à persister dans notre engagement des débuts. Et si on ne peut peut-être plus dire que le livre va changer le monde, il nous faut donner une suite aux promesses de notre jeunesse qui sont celles de toute jeunesse : donner à entendre, réinventer.
LH : Antoine Wauters, Christophe Pradeau, Samy Langeraert, David Bosc, Anne Pauly dont le premier roman Avant que j'oublie vient de recevoir le prix Envoyé par la Poste : de jeunes écrivains ont rejoint Verdier...
C. O. : Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Didier Daeninckx ont ouvert la voie aux nouvelles générations d'écrivains qui nous ont fait et nous font confiance.
David et Lionel Ruffel, directeurs de la collection « chaoïd » ont accueilli tout dernièrement deux primo romanciers : Samy Langeraert et Anne Pauly. Avant que j'oublie, le roman d'Anne Pauly a été très soutenu par les représentants et bénéficié d'une très bonne mise en place. Nous avons dû lancer une réimpression avant le prix Envoyé par la Poste. Mais bien malin qui peut prédire le sort d'un livre. Aujourd'hui il est sur la première liste du Prix Goncourt et va donc concourir pour le Goncourt des Lycéens. Ce qui est bien dans ce métier et qui ne change pas, c'est qu'on est toujours surpris.