Dès les premières pages de sa biographie Denis Roche, éloge de la véhémence, son auteur, Jean-Marie Gleize, annonce la couleur : « Il n'y aura jamais de « portrait complet » de Denis Roche (...) nous le savons. Il nous précède et se dérobe. Il ne sera jamais pris. » Et quelques chapitres plus loin, insistant : « Son aventure littéraire est à l'évidence celle d'un déplacement sans fin à l'intérieur d'un paysage hérité dont il entend redessiner les contours, qu'il cherche à reconfigurer, pour y avancer libre, à son allure. »
Que sait-on aujourd'hui, et surtout qu'a-t-on jamais vraiment su de Denis Roche ? Né (en 1937) et mort (en 2015) à Paris. Entre-temps ? Photographe, écrivain, poète, éditeur, directeur de collection et traducteur. On pourrait ajouter amoureux, mais on se le garde pour la bonne bouche. Entre-temps aussi, des voyages, une vie dédiée à l'élaboration de dispositifs artistiques dont l'apparent formalisme ne le cédait jamais à une sorte de lyrisme inscrit lui aussi tout de même dans l'extrême contemporain.
Au départ, il y eut donc l'écrit - ce qu'il nommait drôlement « la lutte et rature », signifiant par là aussi ce qu'il estimait devoir au mouvement Dada -, la poésie telle qu'elle se devait de se réinventer. Mais tout le reste, au fond, était déjà là, agissant comme autant de canaux souterrains. Il y eut donc l'aventure Tel Quel, des livres par dizaines, et même un « roman » fascinant, Louve basse. Il y eu la création de cette fabrique de littérature exogène et métisse que fut la collection « Fiction & Cie » au Seuil. Et peu à peu, surtout à partir du début des années quatre-vingt, s'opère un glissement artistique et sémantique vers la photographie, prenant pour sujet notamment celle qui est devenue et restera sa muse et femme, Françoise Peyrot.
Ce glissement est particulièrement documenté dans Temps profond - essais de littérature arrêtée (1977-1984), le journal inédit que publient simultanément les éditions du Seuil. Ce sont là les plaisirs, les jours, les pratiques et la solitude d'un Roche plus que jamais en recherche perpétuelle. Les plaisirs d'abord, ou plutôt le plaisir, tant la dimension sexuelle y est sans cesse présente. D'abord peut-être comme un pied de nez à son autre compagne éternelle : la mort. L'auteur y voit s'éloigner de plus en plus ce qui le mouvait dans sa jeunesse, l'idée d'une révolution qui en soit vraiment une, celle des esprits, des corps et de ce qui seul peut l'incarner, l'art. Se dégage de ces pages un Denis Roche en grand mélancolique, entre stoïcisme et lyrisme, sans qu'il ne cède jamais aux redditions systématiques de ses contemporains. Laissons-lui une dernière fois la parole : « On ne peut parler d'activité créatrice qu'en termes d'individu, singularité, contradiction absolue avec le reste : solitude. » C'est ce qui fait aussi sa victoire. Ce qui fait qu'aujourd'hui encore, Denis Roche est vivant.
Denis Roche, éloge de la véhémence
Seuil
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 24 euros ; 304 p.
ISBN: 9782021413458
Temps profond : essais de littérature arrêtée 1977-1984
Seuil
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 24 euros ; 400 p.
ISBN: 9782021429008