Village de fous

Juliette Rigondet. - Photo DR

Village de fous

Elle-même confrontée à la folie au sein de sa famille, la journaliste Juliette Rigondet s'est penchée sur l'expérience audacieuse du village de Dun-sur-Auron, dont les habitants cohabitent depuis cent trente ans avec des aliénés.

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Par Kerenn Elkaim
Créé le 03.05.2019 à 00h11

Son histoire familliale a façonnée Juliette Rigondet. Son père descend d'une lignée de médecins mais, ayant hérité d'une ferme, il est devenu agriculteur. Cet homme rêvait d'écrire, c'est sa fille qui le fera. Côté maternel, des problèmes psychiatriques touchent la fratrie, notamment la tante Elisabeth, à laquelle l'auteure reste très attachée. « Nous partagions un lien mère-fille, comme si j'étais la poupée de cette femme sans enfant. Etant son portrait craché, j'avais la hantise d'être rattrapée par sa folie. »

Des années en pension

Juliette est la petite dernière. Très solitaire, elle grandit dans cette ambiance angoissante et garde un dur souvenir de ses années en pension. « L'écriture incarne ma planche de salut. C'est là que je me sens chez moi. » Son chemin a bifurqué plus d'une fois. Après un DEA en philo, elle passe par l'enseignement, puis l'édition chez Atlas ou au guide Michelin. La revue Histoire lui offre une seconde famille. Elle y travaille en se plongeant dans des documents anciens, aime principalement réaliser des portraits. Parallèlement, elle anime des ateliers d'écriture. « Le réel me réarime. » Il lui inspire un roman, jamais publié, sur sa tante. Celui-ci trouvera une autre voie.

Juliette Rigondet passe son enfance à Dun-sur-Auron. Situé dans le Cher, le village a été le théâtre d'une expérience révolutionnaire. A la fin de XIXsiècle, les asiles sont trop engorgés et, face à l'échec des méthodes appliquées, d'autres alternatives sont envisagées. Un certain Dr Marie suggère des « colonies pour aliénés tranquilles », réservées à ceux qui ne constituent pas un danger pour eux-mêmes ou autrui. Il est convaincu que la liberté ou la sociabilité amélioreront leur état. En 1891, le conseil général de la Seine accepte que des familles d'accueil jouent le jeu, moyennant de l'argent. La campagne paraissant l'environnement idéal, le Dr Marie s'installe avec ses malades à Dun. Malgré quelques incidents, le greffe prend. Ce qui surprend, c'est la longévité du projet (cent trente ans) et le nombre de patients (jusqu'à 1 000) par rapport au nombre d'habitants (4 500).

La journaliste se souvient « des regards de ceux qui venaient d'ailleurs. Pour eux, nous étions un village de fous ». L'auteure rappelle cependant « qu'eux, ça pourrait être nous », car nul n'est à l'abri d'un trauma, d'une grande détresse ou d'une maladie mentale. Sa tante, Elisabeth, en est la preuve. Juliette Rigondet lui rend enfin hommage avec ce récit incroyable. « J'ai voulu faire exister ces invisibles, oubliés de tous. En inscrivant leurs noms ou des bribes de leur histoire, je leur dédie un mémorial. »

L'expérience a porté ses fruits. Bon nombre de patients ont retrouvé leur autonomie et leur dignité, grâce à un travail et à de nouveaux liens humains. Ces liens de confiance, d'amitié ou d'amour ont rehaussé leur estime de soi. Un partage des savoirs qui passe aussi par la culture. « Le manque de moyens actuels provoque malheureusement une régression, or la cohabitation s'avère possible et enrichissante. » L'auteure, qui a longtemps eu du mal à trouver sa place, y voit « une leçon d'humanité », qu'on pourrait élargir aux migrants ou aux personnes âgées.

Juliette Rigondet
Un village pour aliénés tranquilles : la colonie de Dun-sur-Auron
Fayard
Tirage: 2 200 ex.
Prix: 20 euros
ISBN: 9782213702100

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