C’est inéluctable même si, à l’heure où nous mettons sous presse, la liquidation judiciaire n’est pas encore officielle. Six mois après son dépôt de bilan et sa mise en redressement, Virgin Megastore France va disparaître. Le tribunal de commerce de Paris doit annoncer sa mise en liquidation judiciaire le 17 juin, après avoir rejeté, en raison de leur insuffisance, les dernières offres de reprise encore en lice, à savoir celles de Vivarte (prêt-à-porter) et de Cultura.

Une grande surprise.

Le peu d’intérêt suscité par Virgin auprès des repreneurs aura été l’une des grandes surprises de cette affaire. Dans le secteur culturel, Patrick Zelnik, le patron de Naïve, n’a jamais dépassé le stade des déclarations d’intention ; Rougier & Plé, distributeur de matériel pour les métiers d’art et les loisirs créatifs, a retiré, quelques semaines après l’avoir déposée, son offre portant sur 11 magasins ; enfin, Cultura s’est discrédité en proposant de ne reprendre, à des conditions très dures, que le point de vente d’Avignon et 17 salariés.

Dès lors, tout laisse à penser que, d’ici à la fin juin, les 26 magasins Virgin auront définitivement tiré le rideau. « Gâchis, gâchis, gâchis. » Le mot revient dans toutes les bouches, avec amertume du côté des 960 salariés, dont 300 libraires, qui vont se retrouver au chômage.

Pourtant il y a 25 ans, en 1988, lors de son implantation en France sur l’avenue des Champs-Elysées, Virgin représentait l’avenir et apportait un vrai renouveau dans la vente des produits culturels. Installée dans un lieu monumental propice à la déambulation, l’enseigne, à l’image jeune et provocatrice, proposait un vaste choix en musique avec des imports difficiles à trouver. « Elle a aussi été l’une des premières à ouvrir le dimanche », rappelle Perrine Devouge, libraire au magasin des Champs-Elysées, et « a représenté, selon son confrère Jean-Damien Bastide, l’arrivée en France d’un modèle de management à l’anglo-saxonne, en vogue à l’époque ».

Surfant sur la vague du renouvellement du marché de la musique avec le remplacement du vinyle par le CD et jouant la carte de l’événementiel, Virgin a très vite trouvé sa place et élargi son périmètre. Dès 1989, l’établissement parisien s’est enrichi d’une librairie de 500 m2. Et, un an plus tard, l’enseigne débarquait à Bordeaux.

Toutefois, déjà à la fin des années 1990, un tournant s’amorçait. « Le premier signe a été le retrait, du hall central, de l’ascenseur panoramique jugé trop coûteux », se souvient Jean-Damien Bastide, salarié depuis 1997. A côté de la mise en place d’une politique de gestion unitaire des produits, la fin de l’âge d’or a été entérinée en 2001 par la cession de l’enseigne opérée par son fondateur, Richard Branson. Virgin, alors à la tête de 16 points de vente, a été vendu au groupe Lagardère, via sa filiale Hachette Distribution Services qui en a gonflé le périmètre en lui apportant les 10 magasins Extrapole qu’elle possédait déjà. Composée de 30 points de vente en 2007, l’ensemble a été revendu à un fonds d’investissement, Butler Capital Partners, qui en détient depuis 74 %, aux côtés de Lagardère (20 %) et de Virgin mobile (6 %), dont le P-DG, Geoffroy Roux de Bézieux, est candidat à la présidence du Medef.

Mutations.

Parallèlement à cette financiarisation de l’actionnariat, Virgin a subi de plein fouet les mutations de son principal marché, la musique, liées à l’arrivée d’Internet et du numérique. L’enseigne, spécialisée dans la distribution de produits culturels, a bien tenté de se repositionner sur le livre, mais, en dépit des compétences de ses libraires, son image a toujours eu du mal à s’accorder à celle de ce secteur. Jamais son chiffre d’affaires n’y a dépassé de beaucoup les 100 à 120 millions d’euros, avant de retomber en 2012 à 79 millions d’euros.

Plus globalement, la standardisation de l’offre, le non-renouvellement de la clientèle et, surtout, les erreurs stratégiques commises par les dirigeants, à commencer par le ratage du virage numérique, ont abouti aujourd’hui à un passif global de 180 millions d’euros ! Dans cet ensemble, les créances fournisseurs dans le secteur du livre sont estimées entre 10 et 12 millions d’euros.

De fait, afin de limiter la casse, les diffuseurs-distributeurs, situés en première ligne en vertu de la « convention de ducroire » qui leur fait supporter les risques d’impayés, ont fait jouer la clause de réserve de propriété pour obtenir le retour de tous les ouvrages impayés encore en stock dans les magasins. Il s’agissait essentiellement de ceux livrés entre octobre 2012 et janvier 2013 car, avant l’automne, Virgin parvenait encore à régler le gros de ses achats et, après janvier, ces derniers ont été réglés comptant, voire d’avance.

Aujourd’hui, seuls les livres qui ont été payés meublent encore les rayonnages des points de vente. Ce qui représenterait au total une valeur de 6 à 7 millions d’euros. Reste à savoir ce qu’ils vont devenir. Le liquidateur en décidera, mais déjà la piste des soldeurs se profile à grands pas. <

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