Ecrivain, essayiste, critique littéraire et juré du prix Femina depuis 1994, Viviane Forrester, née Dreyfus, est morte à l'âge de 87 ans.
Elle s'était surtout fait connaître avec un essai politique, L'horreur économique (Fayard, 1996). Le livre, prix Médicis Essais, s'était vendu à plus de 350 000 exemplaires en France et a été traduit en 32 langues. Elle continua à théoriser la politique et critiquer les conséquences de l'ultralibéralisme dans Une étrange dictature (Fayard, 2000) et se pencha sur la gestion du conflit israélo-palestinien Le Crime occidental (Fayard, 2004). Elle y évoquait notamment le racisme latent qui ronge nos sociétés depuis la Seconde Guerre mondiale dont elle garde un souvenir amer, ayant du s'exiler en Espagne en 1943 pour échapper aux rafles antijuives.
Forrester expliquait avec ferveur, conviction et pédagogie les dégâts des politiques occidentales centrées sur l'argent. Elle cofonda par ailleurs le mouvement altermondialiste Attac en 1998. Contestataire permanente, sa parole et ses écrits dépassaient les frontières. Elle s'inquiétait aussi du diktat du marketing, y compris dans le secteur littéraire.
"La pensée est avant tout mobilisatrice."
Dans un entretien à Livres Hebdo en août 2007 (LH n°699), elle précisait sa pensée : « La littérature, l'écrit rendent plus lucide, plus capable d'esprit critique, donc peuvent être jugés dangereux. Il est plus facile de diriger un troupeau que de diriger des individualités capables de réflexion. De plus en plus, c'est par le sarcasme ou l'indifférence qu'est accueilli ce qui procède de la pensée, qui est aujourd'hui dévaluée. Des pratiques telles que celles des sondages ou des listes de best-sellers y contribuent. Dommage que l'on prenne le mot « intellectuel » pour une insulte.
L'organique et le cérébral sont étroitement liés. La pensée est avant tout mobilisatrice. Elle est sensuelle, à la source de grandes émotions. Et tout ce qui traduit sa musique avec exactitude et donne de la valeur à la conscience, au plaisir, au discernement est essentiel. »
Mais son oeuvre ne se résume pas qu'à ces livres symboliques d'une époque.
Passionnée par Proust, Bernhard, Artaud ou Van Gogh, elle écrivit de nombreux textes, critiques et donnera de multiples conférences sur ces personnalités (l'ensemble est réunit dans Mes passions de toujours, Fayard, 2006). Virginia Woolf reste sa plus grande passion, préfaçant de nombreux livres de l'auteure et lui consacrant deux biographies dont la plus récente, parue chez Albin Michel en 2009, a reçu le prix Goncourt de la biographie. Elle a également préfacé des livres de Edith Warthon ou Pierre Duverger (Céline : derniers clichés, IMEC, 2011), rédigé les textes de Beckett (Steidl, 2009), le livre de photographies de François-Marie Banier, ou traduit des romans anglais de Jean Rhys et Nigel Nicholson. Avec Van Gogh ou l'enterrement dans les blés (Le Seuil, 1983), elle a obtenu le prix Femina Vacaresco et le prix Charles Blanc de l'Académie française
Romancière, elle a écrit Le grand festin (Denoël, 1971), Le corps entier de Marigda (Denoël, 1975), Vestiges (Le Seuil, 1978), Le jeu des poignards (Gallimard, 1985), ... Viviane Forrester se raconta aussi dans Rue de Rivoli : journal : 1966-1972 (Gallimard, 2011), prix Anna de Noailles. Sa dernière oeuvre fut aussi publiée chez Gallimard : Dans la fureur glaciale (2011), elle y a rassemblé 14 nouvelles.
Explorant tous les genres, elle fut aussi l'auteure d'un recueil poétique, Mains (Mille et une nuits, 2000). Comme critique littéraire, elle a collaboré au Monde, au Nouvel Observateur et à La Quinzaine littéraire.
Forrester pose la plume définitivement, elle qui avait dédié sa vie à l'écriture et à la réflexion : dans son essai littéraire La violence du calme (Le Seuil, 1997), elle expliquait : « Ecrire ce n'est pas commenter ce que l'on croit savoir, mais chercher ce qu'on ne sait pas encore et ce que parler veut dire. »