« Nous sommes une communauté prospère. Nos lofts et nos appartements valent des millions. Nos femmes conservent leur beauté. Chaque rénovation équivaut à la construction d’un grand paquebot, pourtant nous ne cessons d’affirmer que la richesse n’est pas ce qui nous définit. Que nous valons mieux que ça. Jaugez-nous aux livres sur nos étagères, aux tableaux sur les murs, aux musiques que nous écoutons sur iTunes, à nos enfants dans leur petite école surprotégée. »
Bienvenue chez les heureux du monde. Bienvenue chez les justes, chez les « (très) rich & (souvent) famous ». Bienvenue à Tribeca, où New York et Manhattan se réinventent chaque jour. Bienvenue enfin à Karl Taro Greenfeld, énième avatar du « wonder boy » des lettres américaines, membre déjà éminent d’une grande famille d’enfants dysfonctionnels qui se donneraient pour cousin Jay McInerney et pour parents John Cheever et John Updike. Avec Triburbia, suite de récits sur une communauté artistique, plus ou moins « wasp » et névrosée, reliés entre eux par un principe de subsidiarité plaisamment « marabout de ficelle », Greenfeld nous offre son premier roman. Mais ici la fiction est comme innervée par la concision, le goût du témoignage et de l’analyse sans concession qui sont ceux du grand reporter qu’il est aussi (notons d’ailleurs que son récit, passionnant, sur les ravages du sras en Asie est paru en France en 2006, chez Albin Michel, sous le titre Le syndrome chinois).
S’il ne laisse pas la moindre chance à ses personnages (qui, il est vrai, ne méritent pas mieux, du sculpteur adultérin vivant aux crochets de sa femme au cuisinier italien construisant, sans scrupule ni patience, un empire gastronomique, en passant par divers autres spécimens de la « branchitude » torve : ingénieurs du son, marionnettiste punk, producteur sans film, dramaturge sans pièce, le reste à l’avenant), la cruauté de Greenfeld n’a d’égale que sa tendresse. Ce petit monde, où l’on pratique l’adultère par désœuvrement et la tristesse par réalisme, peut être d’une infinie vanité, il serre le cœur. Karl Taro Greenfeld vit à Tribeca avec sa femme et ses enfants. Il n’a aucune imagination. Juste du talent. Olivier Mony