Entretien

Voiture-bélier à Grenoble : « Une bibliothèque témoigne de l’échec des politiques publiques quand elle brûle »

Jean-Rémi François, vice-président de l'ABF. - Photo DR

Voiture-bélier à Grenoble : « Une bibliothèque témoigne de l’échec des politiques publiques quand elle brûle »

Dans la nuit de mardi à mercredi, une voiture-bélier a foncé dans la médiathèque Chantal-Mauduit, à Grenoble. Une attaque qui met en relief le rôle et la vulnérabilité des bibliothèques – 47 d’entre elles avaient été touchées par les violences urbaines du début de l'été 2023. Le bureau de l’Association des bibliothécaires de France (ABF), à travers la voix de son vice-président Jean-Rémi François, répond à nos interrogations.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 21.02.2025 à 12h06 ,
Mis à jour le 21.02.2025 à 23h08

Livres Hebdo : Nous ne connaissons pas le mobile de la voiture-bélier venue percuter la toute neuve bibliothèque Chantal-Mauduit dans la nuit de mardi à mercredi, à Grenoble. À ce stade, voyez-vous des similarités avec les émeutes de juin 2023 qui ont ciblé des bâtiments publics ?

Jean-Rémi François : Cette destruction en rappelle en effet d’autres. Mais attention à ne pas systématiquement projeter un sens symbolique à ce que représente une bibliothèque : elle est parfois le seul bâtiment public qui croise la route des émeutiers. Et attention à ne pas non plus relativiser l’aspect symbolique du lieu.

Je pense que ces actes s’ancrent dans une histoire territoriale. Subir une attaque de ce type ne saurait être le symbole d’un échec des professionnels, comme on l’a vu avec la médiathèque de Metz : c’est une question plus complexe, qui associe choix politiques et maillages de territoires.

Vous faites référence à l’incendie de la médiathèque de Metz, brûlée lors des émeutes de 2023. Quelle leçon avait tiré le monde des bibliothèques ?

Celle d’éviter d’isoler la bibliothèque dans son territoire de proximité. Construire les relations les plus solides avec le plus d’habitants possible, des associations et d’autres acteurs publics – éducateurs de rue, missions locales, maisons France service, commerces de proximité, la police municipale…

Ces situations révèlent l’enjeu crucial dans des territoires en difficulté de concevoir des politiques publiques respectueuses des droits culturels, c’est-à-dire qui tiennent compte des aspirations des habitants. Cela nécessite d’instruire de manière participative les projets d’équipement, et de prendre le temps de cela, pour rompre avec les habitudes de pilotage descendant.

Ces établissements sont-ils particulièrement vulnérables ? 

Au contraire, leur ouverture est leur force. La bibliothèque a un rôle essentiel : libre et gratuite, ouverte à toutes et tous, elle est un des rares, voire le seul lieu public qui n’a pas d’exclusivité de publics. Elle est par nature un lieu de brassage, et donc un lieu en prise avec la manière dont la société se vit et se travaille. À ce titre, elle témoigne de l’échec des politiques publiques quand elle brûle, mais elle est aussi une solution lorsqu’elle ouvre tous les jours et propose son accueil et ses services aux habitants qui la fréquentent, régénérant chaque jour le lien avec les usagers, les habitants et les concitoyens, faisant chaque jour la preuve de la possibilité réelle du vivre-ensemble. La bibliothèque a pour vocation de ne jamais exclure… mais ce n’est pas si simple.

La bibliothèque comme remède à nombre de maux de la société...

La culture favorise le développement des autres politiques publiques, l’insertion, la réussite scolaire, la formation, l’animation sociale... Elle est interstitielle, c’est le détour par la culture qui peut créer le déclic. Elle est indispensable dans les politiques sociales pour créer de la confiance. C’est un droit culturel prioritaire. Souvent, on s’aperçoit que la négation de certains droits économiques ou sociaux (comme le logement ou le travail) sont niés car des droits culturels ne sont pas respectés – comme le fait d’avoir le droit d’accéder à la maîtrise de la langue du pays.

Comment trouver l’équilibre entre sécurité et souhaiter la bienvenue à tous ?

La sécurité est aussi affaire de climat de confiance, tout comme la démocratie ; et les bibliothèques ont pour mission de construire cet espace de respect des différences. Le vivre-ensemble s’instruit.

Évidemment il est indispensable d’assurer la sécurité des publics et des collègues, mais des expériences réussies existent, même si rien n’est jamais acquis et qu’une bibliothèque vit au rythme du quartier, avec des moments de tensions. Si la réflexion sur l’accueil, les actions et les partenariats est bien en place et soutenue – politiquement, humainement, financièrement –, le public se sentira bienvenu.

Que peut faire l’ABF à son niveau ?

L’association est là pour soutenir les bibliothécaires dans cette épreuve, et nous avons publié un communiqué en ce sens. Suite aux émeutes de juin 2023, nous avions mis en place avec la BPI un webinaire pour ouvrir un espace de dialogue et sortir de la sidération, à travers un échange avec les sociologues Denis Merklen et Julien Talpin, co-auteur de L'épreuve de la discrimination. Enquête dans les quartiers populaires. Puis une journée d’étude avec l'Association des Élèves Conservateurs Territoriaux de Bibliothèques, pour dépasser ces impasses que sont les dégradations et destructions de bibliothèques. Il faut davantage relayer les initiatives et la vie des bibliothèques dans les quartiers populaires !

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