Essais/France 10 et 12 septembre Yves Pourcher

C'est peu de dire que ce passé-là ne passe pas. Il reste en travers de la mémoire comme une arête dans la gorge. Mais il demeure aussi un puissant catalyseur pour les romanciers et les historiens. Pendant quatre ans, l'Etat français a servi de révélateur, au sens presque chimique du terme, aux passions et aux pulsions les plus noires, les plus contradictoires, les plus glorieuses aussi. C'est vrai qu'il y a un côté théâtral dans le régime de Vichy, un mélange de vaudeville et de grand-guignol dans une ville d'eau où les hôtels pour curistes deviennent des ministères et les fonctionnaires des assassins.

Dans un récit très personnel, Yves Pourcher (Université de Toulouse) présente donc ce « théâtre d'ombres » qu'il connaît bien, notamment pour avoir travaillé sur Pierre Laval et sa fille Josée de Chambrun. Nous retrouvons ici Laval en maquignon à cravate blanche, Pétain caché derrière les paravents de la respectabilité, Morand dont l'adhésion à la Révolution nationale fut sa plus grande faute de style ou Jean Luchaire en magnat de la presse des années sombres. L'historien circule sur cette scène avec habitude, d'autant qu'il en connaît les coulisses avec ces arrivistes si pressés d'arriver qu'ils ne se rendent même plus compte que leur monde est déjà parti.

Yves Pourcher ajoute à cette galerie plus ou moins dégueulasse un personnage méconnu qui fera d'un micro une arme redoutable. Après Radio- Saragosse contre les Républicains espagnols et avant Radio-Patrie qui émettait sur le territoire allemand, Jean Hérold-Paquis (1912-1945) fut la voix de Radio Paris, une « voix de haine », de « petit aboyeur cabotin », de « trou du cul absolument salarié » selon Céline, une voix qui martelait à l'envi que « L'Angleterre comme Carthage sera détruite ». De l'autre côté de la Manche, Pierre Dac lui répondait avec sa complainte « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ». L'humoriste assista brièvement au procès de son homologue pro-nazi pour « voir » celui qu'il avait combattu par le verbe. Il est déçu devant cet homme gris comme l'ennui. L'imprécateur n'exprime aucun regret devant le tribunal. Il avoue seulement s'être « grossièrement trompé ». Il est fusillé à 33 ans.

D'une plume efficace, Yves Pourcher raconte autant le personnage que l'époque. Il a consulté les archives de l'Ina et celles du procès de 1945 pour montrer le poids de la radio dans la violence politique. En guise de dossier d'accusation, il suffit de repasser ses messages. On y découvre aussi les trottoirs truqués - pléonasme encore aujourd'hui - et les fake news bien avant Internet, et la réalité alternative chère à Donald Trump. La réalité de Paquis, elle, fut bien terne. Il parvint tout de même à séduire une jolie femme - ce qui stupéfiait Céline -, à écrire des vers de mirliton et des Désillusions - c'est le titre d'un recueil posthume - qui ont encore un petit intérêt documentaire sur ce monde des collabos au moment où Vichy s'effondre.

Dans cette étrange compétition qui consiste à publier simultanément deux ouvrages sur un sujet voisin, le « radio - traître » impose son originalité. A travers la destinée d'un homme, à travers cette voix sans issue de la collaboration se dévoile une période que Jankélévitch voyait marquée par « l'équivoque et la confusion ». On ne saurait mieux résumer la vie de Jean Hérold-Paquis.

Yves Pourcher
Le radio-traître
Alma éditeur
Tirage: 3500 ex.
Prix: 24euros ; 256 p.
ISBN: 9782362794179
Yves Pourcher
Vichy : théâtre d'ombres
La librairie Vuibert
Tirage: 5000 ex.
Prix: 19.9euros ; xx p.
ISBN: 9782311102697

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