Avant-critique Roman

Yeo-sun Kwon, "Lemon" (La Croisée)

Kwon Yeo-sun - Photo © Shin Nara

Yeo-sun Kwon, "Lemon" (La Croisée)

Prenant pour point de départ le meurtre d'une lycéenne, Yeo-sun Kwon tisse une intrigue policière en même temps qu'elle dépeint une société de classes coréenne impitoyable.

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean Rose
Créé le 21.04.2023 à 09h00

La petite robe jaune. Eonni, « grande sœur » en coréen, est un terme à la fois respectueux et affectueux qu'une jeune fille ou une femme utilise à l'égard d'une femme plus âgée. Comme dans moult langues et cultures d'Asie empreintes de confucianisme où le devoir et le droit d'aînesse innervent toute la pensée, ces subtilités dans la façon de s'adresser aux uns et aux autres sont loin d'être anodine. Dans Lemon de Yeo-sun Kwon, les rôles se sont comme inversés, c'est la cadette Dae-on qui est en quelque sorte devenue eonni par rapport à Hae-on l'aînée. Leur mère a chargé la petite de surveiller cette grande sœur insolemment belle, d'une extrême beauté qui fait fi des conventions - la lycéenne a pour habitude de sortir sans soutien-gorge ni petite culotte. Un jour, on la découvre dans le parc, sans vie, sa robe jaune citron tachée de sang, le crâne fracassé par un objet contondant. Hae-on avait été aperçue pour la dernière fois dans un luxueux SUV que conduisait un camarade de classe qui voulait l'impressionner. Un livreur de poulet frit avait doublé la voiture, il avait fait monter à l'arrière de son deux-roues une fille de la même école qui semblait pressée. Les trois avaient été interrogés par la police. Surtout les garçons, seuls physiquement capables d'avoir frappé la victime avec une brique.

Tous deux avaient des alibis. Le rejeton de l'élite séoulienne était parti rejoindre des copains dans un bar pour regarder la finale du Mondial organisé par la Corée et le Japon. Quant au livreur, à la tête de « cornichon », « long à la détente », sa petite sœur l'avait entendu rentrer de son job au restaurant. Quoique plus frêle que le gosse de riche, il demeure aux yeux de l'inspecteur le suspect n° 1, d'autant qu'il prétend que la victime était en short et débardeur. Comment aurait-il pu savoir ? Un SUV est trop haut pour que le conducteur d'une mobylette puisse voir si la passagère de la voiture surélevée porte ou non un short ! Je n'ai rien vu, répond le coupable idéal, c'est la fille qu'il avait prise en stop qui lui a dit, il n'a fait que répéter.

Construit en séquences relatées par des voix qui alternent, ce mystère de la robe jaune vous happe dans les abîmes des psychologies, plus ou moins équilibrées, des narrateurs. Une voix domine cependant, tel un fil rouge sang- celle de Dae-on si obsédée par la mort de son aînée, qu'elle, la petite boutonneuse naguère rondelette, s'astreint à un régime drastique et se fait refaire le visage à l'image de la belle défunte. Yeo-sun Kwon, sous couvert d'intrigue policière, dépeint une société coréenne aux hiérarchies morales, sociales, esthétiques. Impitoyable.

Les dernières
actualités