Le drap blanc
QUARTANIER (LE)
Quand mon père est mort, je n'ai pas hérité de boîtes pleines de documents et de lettres. Ses cendres ont été jetées à l'eau. Ses biens ont été donnés, détruits à la hâte. Sur les photos, il avait cette allure virile et négligée caractéristique des années soixante-dix. Il ne pouvait pas se mettre à table sans son couteau de poche et du pain. Il disait «il» à ceux qu'il aurait dû vouvoyer, parce qu'il refusait de se soumettre à leur supériorité de classe. Il était drôle et colérique. Il était sensible. Il fumait, il buvait; il n'a pas laissé grand-chose derrière lui. Il avait commencé à disparaître de son vivant déjà. Quand on a soulevé son corps, une légère empreinte avait creusé le drap, là où était posé son crâne. Puis elle s'est effacée, et le drap est redevenu lisse. ©Electre 2020