Troisième partie : La résistance des libraires
Les librairies étaient l’autre enjeu de ces premières assises. Et les exemples ne manquent pas : du prix de l’immobilier dans les centre-ville à l’importation de livres français dans des pays étrangers, même européens. Philippe Goffe, administrateur de l’Association internationale des libraires francophones, n’exagère pas quand il affirme : « C’est la force d’Amazon, cette efficacité à envoyer n’importe quel livre en quelques jours quand une librairie francophone à Rome attend deux semaines pour le recevoir. »
Car il insiste : « Le plus important pour les libraires c’est la fluidité, l’accès au livre. La différence entre Amazon et nous, c’est être librairie ou ne pas être. Ce sont des lieux de convivialité, de proximité, d’animation. C’est un petit théâtre. Le libraire met les livres en scène et il reçoit des auteurs pour les mettre en scène. » Et de théoriser : « Les libraires ont le choix : soit ce sont des défricheurs, soit ce sont des amplificateurs de ce qui est proposé par le marché. »
Et Delphine Bouetard et Anne-Laure Vial, cofondatrice de la librairie Ici Paris en 2018, l’ont bien compris. « Une offre large permet de répondre aux attentes d’immédiateté du consommateur. Il y a des sites comme Paris Librairies qui permettent de mettre des stocks en commun » rappelle Delphine Bouetard.
Mais cela ne suffirait pas. « Notre préoccupation est de faire une librairie qui va durer, à vingt ans, face aux Gafas. C’est donc un outil de travail modulaire. A tous moments on peut faire évoluer l’espace, si la fréquentation est trop importante, ou faire évoluer, agrandir les rayons de certains segments. Et on veut recruter un public jeune, les 14 ans avec des animations ludiques pour dédramatiser l’accès au livre » détaille Anne-Laure Vial.
Outils de fidélisation, création d’une marque sur les réseaux sociaux, design étudié pour les millennials : « Il faut créer une relation la plus forte possible avec nos lecteurs. On a imaginé notre librairie comme un lieu de vie. 10% de notre espace n’est pas marchand. »
Jean Spiri, Secrétaire général d’Editis, veut aussi lutter contre les plateformes. « On ne doit pas s’interdire avec l’aide de l’État qui doit jouer son rôle de régulateur pour négocier avec les plateformes pour la visibilité chez les Gafas, maîtres des algorithmes. »
L’impression à la demande comme le commerce de proximité sont aussi un enjeu environnemental : moins de transport, moins de papier.
Pour Philippe Goffe, « Le job du libraire n’est pas de courir après Amazon. L’obstacle n’est plus Amazon. » « Le prix unique nous protège d’une guerre commerciale avec les plateformes » ajoute-t-il.
Co-président de la Fédération européenne et internationale des libraires et fondateur des librairies Paagman, Fabian Paagman voit même les évolutions technologiques comme une grande chance pour la librairie. « Les innovations numériques n’on jamais été aussi accessibles pour les PME. Mais nous devons batailler pour avoir des règles égales pour tous, face aux Gafas. La domination d’Amazon est un problème de réglementation et de loi. Il nous faut des règles de concurrence égales. »