Deuxième partie : Mieux partager la valeur
Les droits d’auteur et les règlementations ont beaucoup occupé les débats. Dans son préambule, Rudy Vanschoonebeek, Président de la Fédération des Editeurs européens et P-DG de l’éditeur belge Uitgeverij Vrijdag, rappelle que « l’édition doit dorénavant compter sur de nouveaux partenaires : les télécoms, les fabricants de smartphones, les plateformes agrégeant les contenus. Se pose alors le partage de la valeur. » Fervent défenseur de la directive sur les droits d’auteur, votée l’an dernier par le Parlement européen, et critique des mesures de rétorsion et du lobbying des Gafas, il demande à « défendre les droits d’auteur pour donner du pouvoir aux créateurs. »
Sauf que ça ne semble pas si simple. Déjà, comme l’a rappelé l’avocat et agent littéraire Emmanuel Pierrat, « Les enjeux d’interprétation et de transposition entre le texte de la directive et la mise en application règlementaire dans les territoires sont très importants » et ne sont pas si simples. Il cite l’exemple de Google, qui a annoncé hier, avoir lancé des avec beaucoup d’éditeurs de presse, alors que la multinationale avait refusé d’appliquer la directive européenne l’été dernier, en pratiquant une forme de chantage. « Demain les éditeurs devront négocier avec les Gafas. C’est le rôle des syndicats comme le SNE ou de la FEE » explique-t-il. Mais il craint aussi que « Le droit à l’éducation et l’accès ouvert à la recherche servent d’excuses démagogiques pour que les tous droits soient ouverts et lèsent ainsi les éditeurs. »
« Il faut être attentif. Amazon est capable de s’affranchir de la propriété intellectuelle » dénonce l’avocat, en prenant l’exemple du contentieux « légitime » entre Amazon, sa filiale Audible et la fonctionnalité Capture et les éditeurs américains. Finalement, une transaction a clôt la procédure. En attendant de se transposer en Europe.
Or cette Europe a des failles. Il cite ainsi le prix unique, « un instrument, quand il est bien manipulé, qui sert la librairie, les éditeurs, la circulation des livres. Mais il y a encore beaucoup de pays en Europe qui ne l’applique pas. Même les éditeurs italiens prennent le coronavirus comme excuse pour reporter l’application de la loi récemment votée. »
Et l’éditrice britannique Kate Wilson (Nosy Crow) abonde en précisant qu’au Royaume-Uni, en l’absence de prix unique, « Nos revenus sont fortement réduits par des rabais qui peuvent aller jusqu’à 60% du prix de vente. »
Tout le monde se méfie des Gafas. Cependant, Philippe Goffe, fondateur de Graffiti et administrateur de l’AILF, nuance : « Certes, l’économie des plateformes a bouleversé la chaîne, mais la concentration des groupes éditoriaux a aussi changé la donne. Cette industrialisation qui a amené des enjeux financiers très importants, qu’on ne connaissait pas il y a 30-40 ans, a considérablement transformé le secteur, devenant un marché de la demande. Les libraires sont confrontés à la surproduction, certes riche et diverse, mais elle étouffe la librairie. Un nouveau compromis doit être trouvé, et renégocié à l’international. »
La surproduction est-elle l’autre problème inuit dans ce fameux partage de valeur. Claude de Saint-Vincent, directeur général de Média Participations, concède que « Le surencombrement est un problème pour tout le monde : éditeurs, diffuseurs, libraires. Même dans les grands groupes, certaines maisons se retrouvent insuffisamment représentées pour être bien distribuées. »
Kate Wilson justifie alors sa position de petite maison indépendante : « Une petite maison doit être plus exigeante et faire des choix qui lui sont propres, elle ne peut pas se permettre une surproduction. On doit se distinguer des grands éditeurs. On n’a pas à se mesurer à eux. Chacun a sa place. »
Secrétaire général d’Editis, Jean Spiri, plaide pour davantage de créativité et avance des pistes. « La question du partage de valeurs entre auteurs et éditeurs, c’est faire fi de l’évolution du métier d’éditeur aujourd’hui. On peut trouver d’autres moyens de rémunérer les auteurs, de maximiser leurs revenus. On est dans l’économie de l’intention. A nous aussi de faire le lien entre une série, ou une musique, et un univers de lecture. C’est comme ça qu’on captera les futurs lecteurs et qu’on fera gagner davantage de revenus pour les auteurs. »
Plutôt que de redécouper le gâteau, augmentons sa taille. Cela passe aussi par davantage de traductions, d’internationalisation.
Pour l’auteur et scénariste Benoît Peeters, qui n’est pas « un anti-éditeur », « Il y a de nouveaux partenariats à inventer. Il y a une nouvelle chaîne du livre à inventer, je devrais dire les chaînes du livre » se désolant que « le maillon faible » soit souvent l’auteur.
« Il y a un partage de l’effort entre l’auteur qui a une volonté et un éditeur qui a son énergie. Même un échec est une responsabilité collective. L’auteur n’a pas à le payer seul » plaide-t-il. Benoît Peeters pense que cela passe par une meilleure et plus solide représentation des auteurs, qu’il faut changer la manière de communiquer autour du livre, et que la découverte de nouveaux talents est à revoir.
Et selon lui, « l’autoédition n’est pas la solution mais est un piège ». « Mais le système est un peu malade quand un éditeur propose 1% des droits à partager entre 8 auteurs. Ça créé la tentation de l’autoédition » lance-t-il en conclusion.