Agnès de Clairville habite à Marseille et travaille à Orléans. Elle ne s'y rend évidemment pas tous les jours, le travail pouvant s'effectuer à distance. Pour retourner dans la cité phocéenne, elle passe par Paris, l'occasion de voir des expos. Elle aime la photo, elle en fait. Dommage, la Maison européenne de la photographie et le Jeu de paume ne sont pas ouverts. Nous nous donnons rendez-vous au musée de la Chasse et de la Nature, car les animaux, elle aime aussi, elle les connaît bien. Ses deux précédents livres, La poupée qui fait oui et Corps de ferme (HarperCollins, 2022 et 2024) se passent, le premier, dans une école d'ingénieurs agronomes, le deuxième, dans une exploitation agricole. Quoique ne venant pas d'un milieu d'agriculteurs, Agnès de Clairville, qui était aussi bonne en dessin qu'en sciences naturelles, opte pour une filière à la fois scientifique et ancrée dans la terre. En s'inscrivant en agronomie, la voilà de plain-pied avec la ruralité. « Ma mère qui avait fait les Beaux-Arts de Paris cultivait chez moi un goût pour l'art et la culture mais mon père était ingénieur, et, notre milieu étant plutôt classique, on m'a orientée vers une voie considérée moins bohème... » Bizutage, univers machiste, voire misogyne... la future écrivaine sait qu'elle ne restera pas longtemps dans ce monde rural. Elle bifurque dans la microbiologie et trouve un emploi dans un laboratoire pharmaceutique. Lors de ses études, à Amiens, dont la cathédrale lui révèle « la splendeur du gothique », elle continue à s'adonner à la beauté des formes. Si elle dessine toujours (« de la BD »), elle va découvrir la photo. D'un labo l'autre : « Le jour je faisais de la recherche en blouse blanche, le soir je développais mes images dans une chambre noire. » Imbue de l'esthétique d'Edward Weston, elle réalise des nus photographiques que, « pour éviter de choquer [sa] famille collet monté », elle signe sous le pseudonyme « Agnès de Clairville » qui deviendra son nom de plume. « Agnès est mon second prénom, le patronyme à particule s'inspire du nom de jeune fille de ma mère... »
Dans La poupée qui fait oui planait l'ombre d'un père biologique qui ne reconnaît pas son enfant. Dans Corps de ferme, c'est par le truchement des animaux de la ferme, à travers leurs points de vue, que se tissait une réflexion sur la maternité et notre relation à la vie. Dans son nouveau livre La route des Crêtes, Agnès de Clairville raconte cette fois le parcours d'une femme de 33 ans qui tombe enfin enceinte de l'homme qu'elle aime et qu'elle a épousé, puis qui se retrouve soudain veuve en pleine grossesse... Y a-t-il des échos autobiographiques ? L'autrice acquiesce d'un pudique oui. Peu lui importe de coller à l'exactitude des faits. « La vérité se trouve dans mes romans. » Agnès de Clairville ne témoigne pas tant du deuil que de sa volonté de le surmonter, de s'émanciper du chagrin convenu. D'assumer également la solitude- solitude de celle ou celui qui crée ; solitude de la fille unique qu'elle fut durant ses toutes premières années avant que sa mère épouse l'homme qui l'élèvera comme sa propre fille ; solitude de l'adolescente chez ses grands-parents versaillais alors que ses parents étaient au Brésil où elle-même vécut une partie de son enfance... Qu'est-ce que la vie au-delà d'une vie ? Solitude, certes, mais surtout choix du vivant.
La route des Crêtes
Phébus
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 20,50 € ; 192 p.
ISBN: 9782752914286