Matériellement, Soirée d’un faune se présente sous la forme d’une carte Michelin, supposément départementale si l’on se fie à sa couverture jaune. Prenant le relais du musicien Claude Debussy, qui avait imaginé son Prélude à l’après-midi d’un faune pour illustrer le poème de Stéphane Mallarmé L’après-midi d’un faune, le duo iconoclaste Ruppert et Mulot livre un ballet contemporain dessiné en un acte conçu, sur la musique de Debussy, comme une suite à cet après-midi. Il s’agit d’un after en somme, passablement trash, avec, sur une feuille de 132 x 100 cm, 110 danseuses et danseurs, en écho aux 110 mesures du musicien correspondant aux 110 alexandrins du poète.
Renouvelant le système narratif de la bande dessinée, l’œuvre d’apparence confuse, si on l’aborde sans préambule en version dépliée, gagne à se découvrir par séquences, au dépliage. Des hommes et des femmes en vêtements légers – les femmes souvent en tutus bleu acier – quand ils ne sont pas partiellement ou totalement dénudés, apparaissent, en mouvement, chacun habité par la mise en place d’une chorégraphie spécifique. Du balayage en solitaire à l’accouplement hard, ces chorégraphies se déploient sur des tréteaux, des échafaudages, des tapis ou des colonnes monumentales. Une poignée de violoncellistes et de contrebassistes, un trombone ou un piano sans pianiste figurent un hypothétique orchestre.
Des accessoires s’imposent. Certains sont d’apparence anodine?: vélos, poubelles, chaises, canapés, bancs publics, manteaux et portemanteaux, des parapluies aussi. D’autres surprennent ou inquiètent?: cadavres de bouteilles en vaste quantité, gourdins, pistolets, sabres et fleurets, arcs et flèches qui volent et percent les chairs. Les civières ne sont pas loin. Le véhicule de secours des pompiers non plus. Ouverte, la carte qui dévoile également un hélicoptère n’a plus grand-chose du tendre. Entre sexe, drogue et musique classique, Ruppert et Mulot réussissent à reconstituer sur un dessin unique qui évoque les fameux « Où est Charlie?? » des temporalités multiples qui pointent le basculement d’une société dans une forme d’orgie à l’issue incertaine. Mais qu’on se rassure?: ce n’est pas encore l’apocalypse.
Soirée d’un faune
L’Association
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 14 euros
ISBN: 978-2-84414-726-4