Écrits polymorphes. C'est une phrase de Victor Hugo qui est le point de départ de cette anthologie et lui donne son titre : « Au fond, c'est la même extase, l'idée de l'infini se dégage du beau comme l'idée du beau se dégage de l'infini. La beauté, ce n'est pas autre chose que l'infini contenu dans un contour. » Poèmes, critiques, essais, pamphlets, la bibliographie d'Annie Le Brun est foisonnante. L'infini dans un contour est une plongée dans son œuvre, sur quelque 1 300 pages, des années 1960 à aujourd'hui. Il comporte un peu moins de la moitié de ses écrits, entre autres le recueil de poèmes Ombre pour ombre (2004), les essais Appel d'air (1988), Surréalisme et subversion poétique (1991) et Ce qui n'a pas de prix (2018). Des commentaires récents de l'autrice présentent les différents ouvrages et les situent dans son parcours, lui permettant de relier ses créations entre elles. Ce sont ses poèmes qui ouvrent le bal. « Tout part de là, et y ramène », déclare-t-elle en introduction. Dans Ombre pour ombre, on retrouve ses poèmes accompagnés de collages de Toyen, avec laquelle elle a partagé une amitié mais aussi un lien esthétique inscrit dans le paysage du surréalisme. Les deux artistes se sont aussi réunies pour Annulaire de lune (1977), où des dessins de Toyen se mêlent aux textes d'Annie Le Brun s'adressant aux « enfants du siècle » : « Les artistes se cramponnent frénétiquement à une sangle de bruit pour ne pas rouler dans la poussière du même. » Elle poursuit : « Inutile d'insister, il n'y a plus de paysage porteur d'ombre, seulement une marée montante de signes cherchant à s'engouffrer au fond de nos prunelles. » Provocatrice, sensible, engagée, tranchante, passionnée, Annie Le Brun n'a jamais mâché ses mots. Elle invite plutôt à les lire autrement, à plonger éperdument dans les abysses d'une littérature empreinte d'esthétiques de siècles entremêlés.
Sade fut une des obsessions littéraires de l'écrivaine. Dans Pour ne pas en finir avec la représentation, l'un des essais qui lui sont consacrés, elle évoque sa « dette lyrique » à l'auteur. C'est aussi une critique de la littérature que compose Annie Le Brun tout au long de son œuvre : surréaliste depuis ses premiers soubresauts artistiques, elle rencontra Breton en 1963 et resta fidèle mais jamais enfermée dans ce mouvement d'avant-garde et de révolte perpétuelles. À l'inverse, le structuralisme et le postmodernisme lui font horreur. Elle défend plutôt la perspective rimbaldienne, qui est de « changer la vie » par la poésie, et l'idée d'une littérature perçue comme la « tentative de redonner du sens à un monde qui n'en a plus ». Annie Le Brun persiste, depuis ses premiers textes : « Je n'ai rien à dire et encore moins quelque chose à dire. » Cette anthologie prouve pourtant le contraire, nous permettant d'appréhender la poésie, l'esprit révolté, l'intransigeance et l'amour d'une littérature qui ne se méprend pas sur sa capacité à affronter le néant. « Qu'on ne nous trompe plus, écrit-elle, le destin n'est qu'une perversion accidentellement déployée. »
L'infini dans un contour
Bouquins
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 33 € ; 1286 p.
ISBN: 9782382923009