Tour de piste. Les routes bitumées sont rares à Madagascar et pas toujours pavées de bonnes intentions. La piste du vieil homme nous en explicite les ornières. Déjà sur place depuis des lustres, Simon, septuagénaire retors, apprend que Guillaume, son fils, est lui aussi sur l'île et plongé dans les embrouilles jusqu'au cou. Il faut dire que, chez les Risso, l'attraction des ennuis s'inscrit quasiment dans les gènes. Depuis qu'il a quitté la France, Simon n'enchaîne que ça, les combines et les faillites. Sa petite affaire de tourisme n'échappe pas à la règle et surnage en eaux troubles. Au moins lui permet-elle de connaître la topographie locale comme sa poche percée. Alors en route ! En route pour Antananarivo et autres jungles toutes aussi hostiles, pour un royaume de la violence usuelle et de la corruption faite loi. Le vieux narrateur en parle très bien et sobrement, sans relents colonialistes ni fausse empathie outragée. L'œil reste vif et aux aguets, les formules sont senties mais jamais sentencieuses.
De la capitale périlleuse, et son quartier de la gare universellement putréfié, jusqu'au cœur des misères insulaires, Simon traverse ces terres vertes et rouges dont il nous raconte les forces aléatoires et les faiblesses endémiques. On sent son attachement aux lieux malgré la constance de son manque de sentiments pour la planète, pour l'homme, pour lui-même. Et la paternité là-dedans ? Est-ce un devoir ou le boomerang des atavismes finalement ? En chemin vers le fils donc, on croise en compagnie du père quelques figures mal ébarbées, Vazahas blancs ou Malagasys de différentes couleurs, sœur Françoise, l'antique nonne « maigre comme l'humilité », le jeune Édouard, débrouillard aux mains d'argent forcément, André, l'instituteur du bout du monde sans salaire depuis des mois, Batseba, le moineau voyou en équilibre sur un plongeoir entre délinquance imposée et rédemption, Gaëlle, à la fois maman déglinguée et égérie punk, la prévenante Béatrice, Iony le taxi ou Sophie l'infirmière... Au fil des jours, dans une nature qui s'épaissit et tourmente, le flegme de Simon s'effiloche en essuyant les tempêtes du ciel et les caprices du sol. L'aquoibonisme fait place à une introspection percluse de souvenirs ou d'amertume, d'amour parfois, de gris-gris idiots mais salutaires, juste histoire de garder le moral au chaud, face aux pouvoirs froids et à ceux qui les détiennent. Et puis viendront les inéluctables retrouvailles, au bout d'un voyage, au bout de l'enfer et du dénuement, au bout d'un road trip en buggy hippie et incertain. L'histoire statuera puisque « la piste est une roulette russe ». Le barillet tournera, les vents aussi, laissant filer les jours dans un pays exsangue où le temps n'est pas une contingence après laquelle courir.
À la suite d'une dizaine d'ouvrages notamment chez Albin Michel, La Manufacture de livres ou Viviane Hamy, Antonin Varenne rallie « La Noire » et, quelle que soit la chapelle, ça fait du bien de retrouver son écriture d'une grande fluidité, celle d'un auteur à la colère mesurée, ferme dans le fond et pudique dans le ton, d'autant plus crédible et louable.
La piste du vieil homme
Gallimard
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 18 € ; 240 p.
ISBN: 9782073052728