Touchez pas à la kichta. Les anciens parlaient du grisbi. Aujourd'hui c'est la kichta. Les synonymes s'interchangent : la tune, l'oseille, la maille, la fraîche... Mais l'idée de magot et d'embrouilles inhérentes perdure. Des gugusses de Montauban à ceux de Villeneuve-sur-Seine, Val-de-Marne, ville fictive à l'évident confluent de Villeneuve-Saint-Georges et Villeneuve-le-Roi, demeurent les fondamentaux de l'argent facile et brigandé. Samsara en a croqué jadis, jusqu'à ce que Djibril tombe, lui laissant sur les bras un petit Bodhi de onze mois. Elle était la reine de la cité Mauriac puisque son mec en était le roi. Sûr que son train de vie s'est effondré. Néanmoins, c'est en son gosse qu'elle mise aujourd'hui un avenir sans flingue ni deal. Au point de se retrouver serveuse de nuit, dans un fastfood miteux, dans un décor qui ne l'est pas moins. C'est glauque mais paisible, plutôt smicard que mitard. Jusqu'au jour où trois baltringues braquent son comptoir graisseux. Le butin est dérisoire, aussi ridicule que les pieds nickelés responsables, si sommairement grimés qu'elle les reconnaît. Quasiment des membres de sa famille d'avant. Alors forcément, ça se complique : si elle dénonce, elle est complice, si elle se tait, elle est virée. Sans autre choix que replonger au fond du gouffre, Sam doit remettre la main sur une kichta dont le montant gonfle au fil des chapitres. Ceci posé, elle maîtrise les entrailles de son quartier comme personne et en appréhende les dangers en toute conscience. Ses cartouches de désespoir en bandoulière, elle fonce dans la nuit bleue des gyrophares et des lampadaires à bout de souffle. En route, on en apprend un peu plus sur chacun des protagonistes, tous prisonniers de cette pénombre crépusculaire qui délimite leurs univers commun et restreint. De fait, plus que Samsara, Harry, Bouyagui, Ibra, Criks ou Mohand, ce sont les soirs de banlieue que Nicolas Laquerrière érige en personnages centraux de son huis clos entre petites frappes et vrais fauves, entre figurants ubérisés et survivants apeurés. Comme un vivarium aux règles voisines de celles d'autres 9-3 ou 9-1, son 9-4 carbure aux lois du plus fort et aux raisons du plus fou. Sans abuser du langage abscons des zones en friche, juste picoré histoire de respecter le folklore local, juste utilisé pour mettre l'accent ad hoc sur une atmosphère conforme au gris contigu, l'auteur d'un précédent Nueve Cuatro, nourri d'ailleurs de la même suburbanité, s'octroie les codes et les intempérances des lieux pour en dessiner avec réalisme l'affligeant quotidien. Que Nicolas Laquerrière soit également l'un des coscénaristes de la série Validé de Canal+ n'est qu'une autre évidence de ses aptitudes à raconter nos dévoiements collectifs.
Et Samsara dans tout ça ? Elle déverrouillera tous les crans de sûreté d'un soir de feu d'artifice, d'un soir de banlieue presque ordinaire en somme, et continuera son sprint nocturne, entre unité de temps et unité de lieu quasi théâtrales, même si la scène sent plus la weed, les poudres et le graillon que les roses du côté jardin.
Pour rester dans le ton, 2Pac et Kendrick Lamar squattent la bande-son de la cavalcade mais, entre deux punchlines d'un rap vindicatif, est évoquée la chanson Pet Sematary des Ramones, comme un clin d'œil aux daronnes et darons qui liront le livre.
Kichta
HarperCollins
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 320 p.
ISBN: 9791033917045