Crever l'écran. « Le cinéma, c'est des portes vers des vies parallèles qu'on peut emprunter pour échapper à notre réalité. » Quand elle affirme cela, Jeanne l'entend au sens propre. Cette jeune fille passionnée de cinéma remplace pour l'été sa tante concierge d'immeuble. Pour tromper son ennui, elle dévore des ouvrages théoriques sur le 7^e art et se met en tête qu'il est possible de « créer un pont entre la réalité et les films » qui pourrait lui permettre de rencontrer son personnage préféré et de revivre certaines scènes avec lui. Cette pensée monopolise tout son temps et tourne à l'obsession, jusqu'à la couper du monde qui l'entoure.

Premier album d'Aude Bertrand, Au travers du rayon ne cache pas ses influences rohmériennes, puisant son point de départ dans Le rayon vert. Réflexion sur le pouvoir du cinéma et, au-delà, sur celui de la fiction, on peut aussi y voir une lointaine parenté avec La rose pourpre du Caire de Woody Allen. Mais l'autrice, qui joue avec brio sur les frontières poreuses entre cinéma, désirs et réalité, emmène son récit dans des recoins plus sombres, aux confins de la folie. Elle installe son ambiance étrange, mi-fantastique, mi-poétique, à l'aide de cadrages éloquents, de plans variés très cinématographiques, et une grande économie de mots (en quoi cet album n'est pas vraiment rohmérien ni allenesque). Quant à son dessin simplifié et ses couleurs en à-plat, ils contribuent à maintenir un équilibre incertain entre illusion et réalité. Un album hypnotique qui impose une nouvelle autrice dotée, comme son héroïne, d'une imagination fertile.