Le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le Syndicat national de l’édition (SNE) rendent public ce 16 mars, à l’ouverture de Livre Paris, un document type de reddition de comptes, fruit de dix-huit mois de discussions. Sur l’agenda du programme de concertation établi en septembre 2015 entre auteurs et éditeurs, "c’était le point le plus compliqué", résume Marie Sellier, présidente de la Société des gens de lettres (SGDL), une des 18 associations d’auteurs composant le CPE. Visant un "objectif pédagogique", ce modèle doit faciliter l’élaboration du relevé de droits du côté des éditeurs et sa lecture du côté des auteurs. Après l’accord sur les provisions pour retour et les compensations intertitres signé en juin 2017, il complète l’effort de diffusion de bonnes pratiques d’application du contrat d’édition et du code des usages en vigueur depuis 2015.
Ce document comporte trois parties: la liste thématique de ce qui doit figurer dans ce relevé avec une explication détaillée sous chacun des huit chapitres (informations générales, mouvements de stock, droits d’auteur sur les ventes de livres imprimés, droits sur les exploitations numériques, cessions de droits et licences à des tiers, montant des droits dus/à-valoir, montant des droits en gestion collective, récapitulatif général des droits); la présentation de l’ensemble sous forme de tableaux, qui devrait devenir le modèle type de reddition de comptes; et un glossaire définissant les principaux termes.
Différences d’interprétation
"Ces définitions nous ont demandé beaucoup de temps, ce qui est le signe que les différences d’interprétation recouvrent des pratiques variables", analyse Marie Sellier. La clarification des provisions pour retour (réintégration/actualisation) a fait l’objet d’une attention particulière, de même que les exemplaires hors droits (promotion, services de presse), le pilon, et le stock en fin d’exercice, ou encore le détail des cessions à des tiers et les revenus de la gestion collective. Les droits numériques aussi, qui doivent distinguer les ventes à l’unité des autres types de revenus. Pour l’essentiel, il s’agit d’une explication des textes réglementaires.
De fait, l’obligation d’établir une reddition de comptes par auteur et par livre est inscrite au Code de la propriété intellectuelle, et ses modalités sont précisées dans le code des usages, mais l’interprétation de ces textes varie d’une maison à l’autre. Pour les auteurs travaillant avec plusieurs éditeurs, la lecture comparée de ces relevés peut soulever des questions, d’où la volonté de proposer un cadre commun. Pascal Ory, président du CPE, souhaite vivement que ces documents de reddition de comptes "deviennent rapidement le modèle de tous les éditeurs et que la majorité d’entre eux l’applique sans tarder. Les auteurs disposeront ainsi d’une information complète et compréhensible de leurs relevés de droits, dans des formes similaires d’un éditeur à l’autre." Son usage ne sera "malheureusement pas contraignant", regrette Marie Sellier, "c’est le fruit d’un compromis, comme toutes nos discussions".
Vincent Montagne, président du SNE, se félicite d’ailleurs de "la qualité des échanges qui prévalent au sein de l’instance de dialogue mise en place par le SNE et le CPE" dans un communiqué commun. Mais le syndicat doit composer avec des adhérents qui disposent de leurs propres logiciels de gestion de droits, dans lesquels ils ne sont pas forcément prêts à investir des frais d’adaptation. D’où une perception plus distante au SNE, où on parle de boîte à outils plus que de document normatif.
Deux ans et demi de négociations
Après deux ans et demi de négociations, auteurs et éditeurs ont convenu de faire une pause, même s’ils n’ont pas coché toutes les cases de leur liste d’accords à trouver. Dans le rapport sur la mise en œuvre du contrat d’édition, établi au printemps 2017 à l’attention des parlementaires, le ministère de la Culture rappelait les autres sujets inscrits à l’agenda des discussions. L’introduction d’une clause d’audit "permettant à l’auteur de provoquer un contrôle de la réalité des ventes" a bien été abordée, mais les modalités du projet sont encore à approuver. L’information plus systématique et régulière des auteurs "concernant la vie commerciale de leurs livres" (réimpression, nouvelle édition, cession de droits dérivés, promotion, pilonnage, etc.) doit être discutée, le SNE faisant valoir qu’une partie de la question doit se trouver réglée par la clarification de la reddition de comptes.
Le sujet le plus important est la mise en place d’un outil d’enregistrement des ventes en sortie de caisse, à l’image du système Bookscan installé par Nielsen dans une dizaine de pays, et qui serait ouvert aux auteurs pour leur permettre de suivre leurs ventes. Ce service est d’ailleurs expressément mentionné dans le code des usages. Mais la question va au-delà des seules relations entre auteurs et éditeurs, et concerne toute la chaîne du livre: les éditeurs, comme les libraires, en discutent depuis près de vingt ans. "Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur le secteur culturel en général, et notamment sur le livre, soulèvent une inquiétude qui encourage à la négociation et à la recherche de terrains d’entente", note avec espoir Pascal Ory.