26 mars > Essai Etats-Unis

Nous trouvons aujourd’hui un écho de cette volonté de partage chaque 21 juin, lors de la fête de la Musique. Cet esprit-là est héritier d’une IIIe République qui a aussi cherché dans la mélodie son identité nationale. Pour cela, elle a instauré un enseignement artistique accessible à tous les citoyens et a favorisé l’émergence des concerts Pasdeloup, Colonne ou Lamoureux.

C’est ce que nous raconte Jann Pasler dans une étude novatrice qui couvre la période 1871-1914. "La musique n’enregistre pas et n’interprète pas seulement les souvenirs et les traditions, elle aide aussi à construire une identité." Cette professeure de musicologie à l’université de San Diego nous montre comment, avec brio.

Nous voyons ainsi la France coloniale qui veut honorer sa place de première nation au monde malgré la défaite face à la Prusse et qui tente également de donner le ton en matière de création musicale. On exalte Berlioz, on va rechercher les œuvres républicaines de Gossec ou de Méhul, mais on reste coincé entre l’Italie voluptueuse et les cuivres entêtants de Wagner. Il s’agit de trouver un juste milieu.

Ce sont finalement Satie, Debussy et Ravel qui vont incarner cette modernité hexagonale. La musique devient un domaine d’utilité morale et publique. Mais des opéras comme Etienne Marcel ou Vercingétorix de Saint-Saëns, ou encore Roland à Roncevaux d’Auguste Mermet, ont peine à résister au Ring wagnérien. On veut forger des liens fraternels, éprouver la solidarité entre les citoyens. La musique devient une partie intégrante de la conscience française, une manière harmonique de façonner les mœurs, une forme explicite du pouvoir qui s’exprime bien au-delà du symbolique. Ainsi, en 1875, le Carmen de Bizet, deux mois après l’adoption de la Constitution, est-il destiné à diffuser cette idéologie de la IIIe République.

La musique doit accompagner le progrès, y compris le progrès moral, et lutter contre la réputation frivole de la France. Elle est envisagée comme une force régénératrice qui porte les rêves et les espoirs d’une société en quête d’une place de premier rang dans le concert des nations.

Jann Pasler a limité son étude aux abords de la Première Guerre mondiale, mais on rêverait qu’elle la poursuive au-delà. C’est en tout cas une approche érudite et inédite de l’identité nationale dans ce qu’elle a de plus fort et paradoxalement de plus immatériel. Et l’héritage musical de cette IIIe République a encore beaucoup à nous apprendre sur la manière dont nous envisageons la musique aujourd’hui. L. L.

Les dernières
actualités