Pour son tout nouvel actionnaire, Belin est un "placement" qui "s’inscrit dans le cadre de la stratégie de capital-investissement de Scor, dans une logique de rendement à terme pour les fonds investis" selon le communiqué publié le 30 octobre, date du rachat de 100 % du capital de cette maison d’édition scolaire créée en 1777. Le groupe Scor, qui ne se présente que sous son sigle, plus évocateur de performance que la Société commerciale de réassurance dont il résume le nom, n’a pas indiqué le montant de la transaction dans ces quelques lignes aussi destinées à la communauté financière. Assureur des compagnies d’assurances, ce groupe coté en Bourse doit à la fois savoir évaluer les risques qu’il couvre et placer judicieusement les fonds dont il dispose. Au vu de ses résultats, il maîtrise son sujet. En 2013, le bénéfice net a atteint 549 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 10,3 milliards d’euros réalisé avec 2 315 salariés. Le groupe finance aussi une fondation consacrée à la recherche universitaire en sciences.
Catégorie "autres investissements"
La reprise de Belin a été confiée à la filiale Scor Global Investments (Scor GI), qui gère les placements du groupe, évalués à 14,7 milliards d’euros au 30 juin dernier. Dans cet ensemble, composé à 72 % d’obligations et d’un peu d’immobilier (5 %), Belin fait partie de la catégorie "autres investissements" (3 %), aux côtés des Presses universitaires de France (Puf), rachetées au début de 2014 pour 1,15 million d’euros via une augmentation de capital. Représentant moins de 10 % du chiffre d’affaires de l’éditeur, le montant de l’opération indique que l’assureur sait négocier. Il l’a fait d’autant plus facilement qu’il n’était pas demandeur.
Il ne l’était pas non plus avec Belin. Mais Scor confirme son intérêt pour l’édition, et son sens de l’opportunité. Comme son homologue universitaire, l’éditeur du Tour de France de deux enfants (8,4 millions d’exemplaires vendus en cent ans) se trouve aussi confronté à un secteur en difficulté, avec un actionnariat, familial cette fois, qui a préféré passer la main. "Cette décision s’inscrit dans le contexte très perturbé du marché de l’édition scolaire (reports successifs - jusqu’en 2016 à ce jour - de la réforme des programmes scolaires, qui accélèrent la mutation du marché, impécuniosité croissante des donneurs d’ordre publics) et dans celui d’un émiettement croissant du capital familial au fil des générations", explique la famille actionnaire dans un communiqué à Livres Hebdo. "Les descendants directs de François Belin, reçu libraire à Paris le lundi 10 mars 1777", sont environ 45 selon Jérome Schmidt, gérant de la Financière Férou, la holding de Belin qui les regroupe, baptisée du nom de la rue du 6e arrondissement de Paris où se trouve le siège de la maison. Quelques-uns d’entre eux avaient déjà vendu leurs parts, reprises en interne. Devenue un signe distinctif par rapport aux autres éditeurs scolaires, l’indépendance a guidé le dernier acte de la famille, qui "a unanimement décidé de confier à un groupe non concurrent les destinées futures des éditions Belin", poursuit le communiqué.
L’entreprise se trouve dans une situation moins florissante qu’auparavant. Entre 2008 et 2010, son chiffre d’affaires avait augmenté de 56 %, à un rythme bien plus élevé que celui de l’ensemble de l’édition scolaire (+ 21 %), pour atteindre 35,9 millions d’euros, avec un bénéfice net de 1,9 million d’euros. Elle résiste tant bien que mal dans l’adversité : l’an dernier, son chiffre d’affaires a chuté de 15,3 %, à 28,7 millions d’euros, alors que celui du secteur plongeait de 23,6 %. Les succès de la méthode de lecture Boscher, déclinée en plusieurs dizaines de nouveautés, et de l’"Histoire de France" en treize volumes ont partiellement compensé le repli du scolaire, qui représente maintenant moins de la moitié des recettes. Déficitaire de plusieurs millions d’euros, le résultat n’est toutefois plus publié. La situation a soulevé beaucoup d’inquiétudes et de tensions parmi les 130 salariés de l’entreprise. Un plan de licenciement annoncé a finalement été suspendu. Pas rassurés sur les intentions de Scor, les représentants du personnel ont émis un avis défavorable à la reprise.
Les anciennes filiales connaissent des fortunes diverses. L’activité d’Herscher (beaux livres) a été arrêtée fin 2013, et la société a fusionné avec Belin. Le Pommier s’est redressé grâce aux livres de Michel Serres. Pour la science (revues et vulgarisation scientifiques) reste fragile. Les nouvelles, quant à elles, portent les investissements de l’éditeur dans le numérique scolaire. Edulib, créée en 2013 à 50/50 avec Magnard (filiale d’Albin Michel), commercialise la plateforme de conception de manuels numériques développée par Belin, mais elle n’a pas vraiment trouvé de clients en dehors de ses deux actionnaires. Son directeur général a préféré repartir à la DGSCO, son administration d’origine, moins d’un an après son arrivée. Début 2013, Belin a aussi pris le contrôle de Gerip, une société installée dans l’agglomération lyonnaise, rentable et spécialisée dans la conception de logiciels cognitifs et éducatifs. Sa technologie a permis la création de la plateforme Pep’s, pour "Parcours d’entraînement personnalisés", destinée aux élèves du primaire et tout juste ouverte par Belin.
L’engagement de préserver l’indépendance
Le nouvel actionnaire, qui entend "apporter aux éditions Belin les moyens d’accélérer la mise en œuvre de leur plan stratégique", soutient totalement ce "repositionnement sur le numérique" ainsi qu’il l’indique dans son communiqué. Le virage numérique est aussi un des éléments du programme de transformation des Puf que finance l’apport de fonds propres de Scor. Dans l’immédiat, chez Belin, la solidité du groupe permettra de rassurer les banques sollicitées pour financer la trésorerie nécessaire au rythme de la programmation de l’édition papier, qui produit toujours la quasi-totalité de l’activité. Et si les deux éditeurs partagent désormais un même président, Jean-Claude Seys, et un même actionnaire, celui-ci a pris l’engagement de préserver "strictement l’indépendance des choix éditoriaux" de sa nouvelle filiale. "C’est une chance d’avoir un actionnaire de long terme, convaincu de la nécessité de la transmission du savoir et de la connaissance, et qui accompagne la maison", se félicite Sylvie Marcé, confirmée dans ses fonctions de directrice générale.