L'œuvre d'art contemporaine a partie liée avec l'espace dans lequel elle est montrée. Le « cube blanc » de la galerie ou de l'atelier, le fameux white cube, tel qu'il a été théorisé par le critique d'art irlandais Brian O'Doherty, agit sur l'œil du regardeur. Le peintre berlinois Andreas Mauser a choisi comme écrin de son dernier chef-d'œuvre un imposant cube de béton, tout à fait secret, au-dessus des locauxd'une usine désaffectée reconvertie en école d'art. Son école. Mauser est bien plus qu'un artiste de renom, le plus grand peintre allemand vivant, il est le prophète d'une nouvelle manière de peindre, les artistes en herbe triés sur le volet lui obéissent comme à un gourou. Avant de devenir des résidents, les Flitzpiepen, les « petits crétins » de première année, comme on les surnomme à l'école, rivalisent de travail et de sollicitude à l'égard de Mauser afin d'être choisis comme assistants. Parmi eux, Ezra Zimmermann, « le garçon avec des taches de rousseur dans le cou » qui a quitté ses natales forêts baltes et le camping de sa mère sur l'île de Rügen, où il a grandi, pour l'effervescence de la capitale allemande. Le héros de Rouge nu de Benjamin de Laforcade nous prête ses yeux pleins de candeur pour évoluer dans un Berlin de la bohème et de la nuit. Le primo-romancier brosse avec brio le portrait d'une ville et de l'âge des possibles. Il chorégraphie un magnifique trio empreint d'amitié amoureuse, celui que forment Judith et Luc, inséparables depuis l'enfance, avec Ezra. Ainsi s'enlacent leurs rêves de beauté et flottent leurs désirs flous.

Au fur et à mesure que son regard se dessille, Ezra s'enfonce dans l'opacité de l'âme humaine. Mais cette plongée dans le mystère de la création implique qu'on se dévête de quelques illusions. Ezra admirait tant les tableaux d'Andreas Mauser qu'il les copiait inlassablement dans son atelier d'adolescent, aujourd'hui il est devenu son assistant. Le nu que le jeune apprenti a dessiné d'un seul coup de crayon lui vaut d'être sélectionné à la galerie de l'école. Exceptionnel pour un Flitzpiepe. Si c'est le noir du fusain d'Ezra qui a su retenir l'attention de Mauser, la tonalité qui relie tel un fil entre elles ces pages est rouge. Écarlate comme le sang d'Izabela, la voisine d'Ezra à qui il porta secours lors d'un accouchement d'urgence, rouge comme les stigmates sur le corps et dans l'esprit de ces femmes qui posent pour Andreas Mauser, modèles abusés dans le saint des saints de l'atelier du grand artiste... Rouge nu est un roman d'apprentissage dont le protagoniste apprend l'envers de la création et à distinguer l'œuvre de l'homme.