Avant-critique Roman noir

Benjamin Dierstein, "Bleus, blancs, rouges" (Flammarion)

Benjamin Dierstein - Photo ©Jean-Philippe Baltel/Flammarion

Benjamin Dierstein, "Bleus, blancs, rouges" (Flammarion)

Disséquées par Benjamin Dierstein dans le copieux premier tome d'une trilogie, les années de plomb françaises deviennent aussi instables et tonitruantes qu'un cocktail d'explosifs.

Parution 19 février

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Par Jean-Luc Manet
Créé le 18.02.2025 à 09h00

Sous les pavés... Sans sommation, les barricades et les gaz lacrymogènes de Mai 68 nous cueillent à froid. Mais ce n'est rien par rapport à ce qu'encaisse le jeune brigadier Jean-Louis Gourvennec, fraîchement débarqué de sa paisible Bretagne. Un autre flic expire entre ses bras et le projette vers un avenir qu'il n'avait pas envisagé en passant le premier concours venu pour intégrer la fonction publique. Dix ans passent et la nouvelle saga -politico-historique de Benjamin Dierstein démarre. Coutumier des trilogies au long cours, l'auteur de La sirène qui fume (Nouveau Monde Éditions, 2018) suivie de La défaite des idoles (Nouveau Monde Éditions, 2020) et de La cour des mirages (Les Arènes, 2022) repart pour plus de deux mille pages dont voici le premier tiers.

Gourvennec, dit Gourv désormais, a changé son fusil d'épaule et de calibre. Il s'est endurci au gré des désillusions et des convictions, au point de se retrouver au printemps 1979 infiltré au sein des groupuscules de la nébuleuse Action directe, FPLP, RAF, Brigades rouges... Dans le même temps, deux cadets diplômés des hautes écoles de police rallient les RG et la BRI, ces sigles clinquants comme des néons, synonymes d'ordre et de coups fourrés à l'occasion. Jacqueline « Jacquie » Lienard et Marco « Pasolini » Paolini, ce sont leurs noms et surnoms, prennent bientôt en chasse un dénommé Geronimo, fournisseur d'armes invisible pour le compte d'un bon nombre de factions terroristes internationales. Malgré leurs divergences personnelles criantes, quelques piques vicelardes et les guéguerres internes de services antinomiques, les duettistes doivent faire avec leurs statuts de p'tits nouveaux et s'embarquer de conserve dans le sillage du Gourv. En parallèle, alors que se succèdent les attentats et les prises d'otages, l'ancien mercenaire Robert Vauthier quitte l'Afrique pour faire main basse sur la nuit parisienne. La flicaille bout comme une cocotte- minute d'époque et le roman déploie ses tentacules tous azimuts. La somme en impose. On y croise le paramilitaire Bob Denard, le journaliste mondain Alain Pacadis, l'empereur centrafricain Bokassa, Jacques -Mesrine, Robert -Broussard, Valéry -Giscard -d'Estaing, Daniel Cohn-Bendit, Alain Delon...

La méticulosité des dossiers nous rappelle d'autres fictions diplomatiques de DOA ou Frédéric Paulin et, comme chez ces derniers, jamais le dédale n'entrave le récit nerveux ni la lecture pied au plancher. Certains passages un brin débraillés nous arrachent même quelques sourires ravis. On navigue des sphères du pouvoir aux pires bouges de Pigalle en un tournemain. On s'y perd. De la retranscription d'écoutes téléphoniques au tumulte des boîtes branchées, le rythme est constant, parfois ralenti par les planques à rallonge, parfois accéléré par les descentes sur des terrains plus savonneux, mais toujours adapté aux situations. De fait, les huit cents pages du pavé glissent allègrement, au fil de l'action, qu'elle soit « directe » ou romanesque, tel un (presque) mille-feuille d'histoires caramélisées au cocktail Molotov et de digressions politiques croustillantes. Les faux suicides et les vraies exécutions s'enchaînent : ni-Boulin ni Mesrine ne connaîtront ces années 1980 dont les prochains opus de Benjamin Dierstein nous promettent d'ores et déjà une transposition savoureuse.

Benjamin Dierstein
Bleus, blancs, rouges
Flammarion
Tirage: 8 500 ex.
Prix: 24,50 € ; 794 p.
ISBN: 9782080470751

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