Ecrivain discret, Alain Galan a commencé son parcours par Au marché de Brive la Gaillarde (René Dessagne, 1979), manière de s’ancrer là où il vit. Il a publié depuis une quinzaine d’ouvrages, chez différents éditeurs. On retiendra, paru en 2007 chez Plein Chant, un traité De la machine à appointir les crayons, qui nous mène directement au présent A bois perdu.
Le narrateur, qui dit « je » et doit ressembler à son créateur, est un graphomane (journaliste, écrivain et nègre), qui travaille depuis 1973 sur le dos d’une autre bête, un « chameau ». C’est-à-dire un double pupitre qui lui tient lieu de bureau, un côté pour les travaux alimentaires, l’autre pour les nobles tâches. Notre homme, jusqu’à un passé récent, écrivait à la main.
Mais ce chameau a une histoire. Il lui a été offert, en 1973, par Albert Decharme, le patron de L’Eveil du Centre, quotidien régional de Limoges. C’est là que le narrateur avait fait ses débuts, avec un conte de Noël puis des piges, au lieu de continuer ses études. Emu par ce cadeau sorti tout droit du XIXe siècle, notre ami s’est mis en quête de reconstituer son parcours. Il est d’abord remonté à Hippolyte Decharme, le père d’Albert, ex-oiseleur-grainetier à Falaise, dans le Calvados. Sur place, la boutique a disparu, mais une vieille archiviste facétieuse accepte de l’aider. Le chameau aurait appartenu à maître Bonnemaison, notaire à Falaise, lequel l’aurait acquis en 1864, lors de la vente aux enchères du manoir des Ecalles, de Chavignolles, suite au décès du dernier de ses deux propriétaires : un certain François, Denys, Bartholomée Bouvard, mort en 1862, peu de temps après son vieil ami Juste, Romain, Cyrille Pécuchet. Oui, les deux « cloportes » de Flaubert, laissés en plan à sa mort, en 1880.
Le narrateur va alors achever le Bouvard et Pécuchet de Flaubert. Les deux amis copistes, retirés dans leur manoir et souhaitant travailler face à face, ont fait fabriquer l’objet en 1858. Un siècle et demi plus tard, le chameau tremble. Ne serait-il pas temps de passer à l’ordinateur ? Déchirement face à cette page qui se tourne. « Un monde s’efface », écrit Galan. Quant à son chameau, il l’a offert à la Cité de l’écrit et des métiers du livre de Montmorillon. Flaubert aurait adoré.
J.-C. P.