Le gringo, en espagnol, c'est le Blanc, l'Américain (des Etats-Unis, s'entend). Ce dernier terme étant commun à tout le continent, il n'y a aucune raison qu'il soit trusté par les seuls ressortissants du pays de l'Oncle Sam. Gringo, c'est plutôt péjoratif, mais ici sous la plume de l'écrivain et journaliste né en 1969 à Mexico, Alvaro Enrigue, l'épithète revêt un sens ironique. Elle s'allie, dans son recueil de nouvelles Hypothermie, au rêve foireux de ces intellos précaires mexicains qui ont émigré dans la nation du supposé melting-pot pour se retrouver confrontés à la névrose d'un peuple sans racines : "C'est pourquoi nous tous, les gringos, nous finirons tôt ou tard en thérapie. Dans des mondes tels que le nôtre, l'unique façon d'obtenir l'écoute de quelqu'un, c'est de le payer pour cela." La nouvelle en forme d'exergue, intitulée "Thérapie : thérapie", dessine bien la topographie mentale nord-américaine. Mais si Enrigue joue du sarcasme et du second degré, les vies minuscules qu'il dépeint prêtent au sourire mélancolique plus qu'aux éclats de rire. Le première histoire donne le la en commençant par ces mots : "Je suis un écrivain de qualité, mais personne ne le sait." "Le stylo de Dumbo" relate >l'ambition littéraire différée d'un "employé respectable dans un journal honorable" qui s'accroche au stylo-plume que lui a offert sa soeur.
Les protagonistes d'Enrigue sont des héros tchékhoviens qui boivent de la tequila dans leur maisons de banlieue, parfois leur libido se déchaîne mais en secret ("Salive") : tel fonctionnaire de la Banque mondiale confesse à un collègue également d'origine étrangère sa liaison adultère avec la femme du chef de service. L'érotisme torride peut certes pallier l'ennui ("Retour à la ville de la drague"). Mais ce qu'on apprécie le plus chez l'auteur de Vies perpendiculaires, (Gallimard, 2009) est ce climat de suspense sans enjeu particulier, comme dans "W. C." où une voix inconnue de l'autre côté des cabinets interpelle l'ouvrier venu réparer l'électricité.
