La Cour de cassation se penche régulièrement sur le régime des clauses de cession, en particulier entre sociétés. Le 8 décembre dernier, elle a ainsi donné raison, dans un cas particulier, au client d’une agence de publicité qui entendait exploiter une création commandée sans contrat détaillant par le menu l’étendue de la cession. La décision de la Cour de cassation a anéanti le point de vue de la Cour d’appel de Lyon dans la même affaire, rendu le 12 juin 2008. Car, en droit, une cession se doit d’être très précise, à défaut de ne pas pouvoir profiter au cessionnaire. Henri Desbois, le grand théoricien de la propriété littéraire et artistique, résumait le problème de la rédaction des clauses de cession en affirmant qu’elle se devaient de répondre aux questions suivantes : Quoi ? Comment ? Pour qui ? Pour quoi ? Quand ? Où ? Une bonne clause de cession de droits doit énumérer tous les supports d’exploitation du livre. L’article 131-3 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle précise que « la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ». Délimiter l’« étendue » signifie concrètement que l’éditeur doit viser tous les supports d’exploitation de l’œuvre qui sont susceptibles de l’intéresser. Faute de quoi, tout ce qui n’a pas été mentionné ne peut être commercialisé ou cédé à un tiers : seul l’auteur en détiendra les droits. C’est pourquoi les «bons» contrats ressemblent à de mauvais plagiats de Georges Pérec : il faut citer l’édition courante, mais aussi de poche, en club, l’édition illustrée, en fascicules, en gros caractères, etc. Et chaque famille de supports sera traitée par la même litanie : « DVD, internet, téléphones mobiles » et autres liseuses en tout genre. Pour ce qui est des liens entre auteurs et éditeurs, la jurisprudence est particulièrement scrupuleuse dans ses exégèses. Autant dire que les formules magiques de type « tous droits cédés » ou « t ous droits de reproduction et de représentation » sans plus de détails sont considérées, par les juges, au mieux avec ironie, au pire au prix de lourdes sanctions. Quant à l’incantation messianique qui vise les « supports futurs » ou « à venir », elle n’est légale que sous de draconiennes conditions. L’article L. 131-6 du Code dispose en effet que « la clause d'une cession qui tend à conférer le droit d'exploiter l'œuvre sous une forme non prévisible ou non prévue à la date du contrat doit être expresse et stipuler une participation corrélative aux profits d’exploitation ». Il sera donc impossible de se réfugier derrière une telle clause pour s’autoriser à exploiter des supports qui existaient déjà au jour de la signature, même si le marché n’y avait pas encore prêté grandement attention. Par exemple, aucun magistrat ne pourra considérer qu’une telle formule couvre aujourd’hui la diffusion d’un texte sur un appareil dit « nomade ». Une veille technologique assidue et la mise à jour régulière des contrats sont donc de rigueur. De plus, aux termes du Code, il faut fixer un pourcentage en contrepartie de la cession de droits… pour une exploitation dont l’éditeur est bien en peine d’imaginer la forme et a fortiori l’économie. C’est pourquoi il est souvent plus judicieux de conserver la formule « tous supports à venir » et de renvoyer les parties à une négociation ultérieure qui interviendra le cas échéant, « de bonne foi, selon les futurs usages et le futur état du marché ». En théorie, toutes ces exigences ne concernent que les rapports entre les auteurs et les personnes morales que sont les éditeurs. Et tous les contrats de ce type sont concernés ; contrat d’édition, de traduction, de cession des droits d’adaptation audiovisuelle, etc. Mais, par prudence, il est recommandé de s’y conformer également pour les contrats de cession de droits entre éditeurs, en particulier pour le marché agité des droits numériques.