Bruxelles se déclare contre l'extraterritorialité de la loi sur le prix numérique

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Bruxelles se déclare contre l'extraterritorialité de la loi sur le prix numérique

Dans deux avis presque identiques, la Commission européenne exprime un ferme désaccord avec la loi sur le prix du livre numérique telle que l'avait votée le Sénat.

Par Hervé Hugueny
avec hh Créé le 15.04.2015 à 23h36

A plusieurs reprises lors du débat à l'Assemblée nationale sur la proposition de loi relative au prix du livre numérique, le ministre de la Culture et le rapporteur de la commission des affaires culturelles ont souligné qu'il était inutile de vouloir maintenir une application de ce texte aux revendeurs installés hors des frontières, en raison de la très ferme opposition de la Commission européenne sur cette disposition ajoutée par les sénateurs, que les députés ont supprimée.

Dans deux « avis circonstanciés et observations » datés du 13 décembre 2010 et du 31 janvier 2011, Neelie Kroes, commissaire européenne responsable de la direction générale société numérique, et Maros Sefcovic, chargé des relations inter-instituionnelles et de l'administration, avaient en effet émis les plus expresses réserves.

Selon la Commission européenne, le projet de loi français suppose que « le champ d'application de l'obligation de fixer et de respecter un prix de vente au détail a été étendu pour inclure respectivement les éditeurs et les détaillants établis dans un Etat membre de l'UE autre que la France ». Or Nelly Kroes prévient notamment que cette disposition pourrait contrevenir aux articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) .

En reconnaissant qu'il peut exister des restrictions à l'application de ces articles, socles des principes de la libre prestation de services, la direction générale société numérique affirme que l'objet de la loi française n'entre nullement dans ce cadre (ordre, santé, sécurité publique, protection des consommateurs).

En considérant aussi l'argument de « la protection de la créativité et de la diversité culturelle comme un impératif d'intérêt général » tel qu'invoqué dans les objectifs du texte, la direction générale entrepend même de détricoter tout l'argumentaire de la loi, jugeant qu'elle n'est pas en adéquation avec le but poursuivi, et estimant qu'elle emploie des moyens excessifs, contrevenant à « l'exigence de proportionnalité ».

La Commission demande ensuite au gouvernement français de répondre à huit questions dont la tonalité rappelle les doutes de l'Autorité de la concurrence en France, interrogée l'an dernier sur l'opportunité d'une réglementation du prix du livre numérique. Elle se demande notamment si le maillage d'un réseau dense de détaillants est un argument pertinent, dans la mesure où le livre numérique est accessible partout, s'étonne avec une certaine ironie : « A-t-on examiné la possibilité que le prix fixé par les éditeurs pourrait être perçu par les consommateurs comme ne participant pas à l'attractivité de l'offre et incitant finalement au téléchargement illégal de livres numériques ? ».

Le gouvernement et la Commission des affaires culturelles de l'Assemblée ont donc pris la mesure de cette charge, et ont préféré adopter un profil bas en reprenant une version acceptable de cette loi aux yeux de la Commission européenne. Nelly Kroes prévenait en effet que, faute de prise en considération de ses objections, la Commission européenne se réservait le droit d'envoyer « une mise en demeure ».

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