Depuis le début de l’été, Le Monde réitère l’une de ses lucratives opérations qui font concurrence aux éditeurs et libraires. En l’occurrence, période de vacances oblige, une vingtaine de « grands classiques de la littérature libertine » sont vendus en kiosque pour 6,90 euros le volume. L’un de ces titres est présenté comme un roman sulfureux de Mirabeau intitulé Le Rideau levé ou l’éducation de Laure. Or, de même que les spécialistes es- curiosa sont aujourd’hui convaincus que Les exploits d’un jeune Dom Juan n’est pas d’Apollinaire, les bibliophiles sérieux — même s’ils ne lisent que d’une main — ont toujours récusé l’attribution du Rideau levé à Honoré-Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau. Pendant sa longue détention, Mirabeau a certes notamment rédigé Erotika Biblion ainsi que Le Libertin de qualité ou Ma Conversion . Mais, depuis son cachot, le grand libertin, en « état d’érection quasi permanent » — la formule est de Jean-Paul Desprat, l’un de ses biographes — a aussi laissé les pornographes de son temps lui attribuer des romans érotiques dont il n’a pas écrit une ligne. Tel est le cas du Rideau levé ou L’Éducation de Laure. Deux siècles et quelque plus tard, le procédé pourrait prendre une tournure juridique. Dans d’autres domaines commerciaux, les profanes parlent de « publicité mensongère », là où les professionnels du droit, se référant à la lettre des textes, évoquent le délit de « publicité trompeuse ». Jusqu’ici, le milieu du livre, tout comme la presse, se sont rarement sentis concernés par ces notions, qui les menacent pourtant. Les articles L. 121-1 à L. 121-7 du Code de la consommation prohibent la publicité trompeuse. Le message litigieux doit comporter des « allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur ». Cela vise aussi bien des images qui ne correspondent pas aux produits, que l’utilisation abusive de certains symboles. Aux Etats-Unis, en 1999 et 2000, plusieurs consommateurs ont tenté, en vain, de faire condamner de célèbres maisons d’édition. Celles-ci se voyaient reprocher d’avoir dissimulé le nom des « nègres », ou encore d’avoir continué d’éditer les nouveaux titres d’une série dont le père fondateur était décédé depuis belle lurette. Bref, il s’agissait dans tous les cas de premières de couverture qui omettaient certaines précisions, écrasées sous le poids d’un nom d’auteur connu… Les procès intentés à des entreprises culturelles françaises sur ce fondement restent rares. Le 30 mai 2002, le Tribunal correctionnel de Paris a toutefois interdit à Universal Music de vendre un disque de flûte de pan composé en réalité du son d’un synthétiseur. Quant à la « tromperie » en tant que telle — qui est distincte de la publicité trompeuse —, elle est visée aux articles L. 213-1 et suivants du Code de la consommation. Est en effet répréhensible le fait de tromper ou de tenter de tromper par quelque moyen ou quelque procédé que ce soit sur des caractéristiques du produit ou du service. Il s’agit notamment de la nature ou l’espèce du produit, de sa composition ou de sa teneur en principes utiles, de ses qualités substantielles, de l’origine de la marchandise, de la quantité de choses livrées, de l’identité du produit ou encore de son aptitude à l'emploi, etc. Un livre blanc vendu sous blister pourrait encourir un tel grief. Dans la guerre que se livrent les journaux devenus fournisseurs de livres, la tendance reste pour l’instant au rose chair, quitte à ne pas être trop regardants sur la véracité de l’affiche.