Zone sombre. Mythologies du .12 fait le récit d'une rencontre malheureuse. Bien plus encore que les personnages, ce sont des générations et des classes sociales qui ici se confrontent et finissent par se fondre, pour former un tableau violemment contrasté. C'est le premier soir de l'été, dans la banlieue et la zone industrielle d'une agglomération classique de Belgique. À l'aube des vacances, Théo attend Max sur le parking du McDonald's, va faire un tour au supermarché pour acheter deux ou trois bières le temps que les flics fassent leur habituelle ronde, et roule un joint en pensant à la soirée qui s'annonce : toujours la même. Avec Max, ils vont zoner quelque temps sur le parking, fumer et boire, passer de longs moments en silence, chacun dans ses délires respectifs. « Soudain tout lui parut d'une lâcheté colossale, d'une hypocrisie crasse, il lui sembla que le monde est fini. » Théo se perd dans l'une de ses absences, tandis que Max lui raconte comment la serveuse du bar l'a méchamment dragué la veille. Puis ils errent en Clio avant de finir quelque part en vidant le réassort de bières acheté in extremis dans une épicerie de nuit.
Dans le même temps, en face du parking, passe la voiture du docteur Rombout qui rentre de l'hôpital. Depuis que sa femme et ses deux fils sont partis, il vit seul dans une maison isolée dans une forêt pas très loin de la ville. Pour rejoindre ce havre de paix qu'il a trimé pour avoir, il doit traverser la zone et passer devant les multiples enseignes alimentaires, de prêt-à-porter, de bricolage ou de produits électroniques et ménagers. Arrêté à un feu rouge devant l'une d'elles, il observe un jeune homme en train de fumer, sur le muret qui sépare la route du parking. Il pensait justement à tous « ces gens » qu'il croise aux portes de l'hôpital à la fin de sa journée, ces patients « qui ne pouvaient se passer de fumer alors que, justement, c'était souvent la raison de leur présence à l'hôpital ». Mais bientôt, il se retrouve plongé dans son whisky quotidien, sur sa terrasse, au milieu de « [sa] pelouse tondue, de [ses] parterres entretenus » par les soins de son employé Messaoud. Parfaitement seul, aigri, il pense à ces biens qu'il possède et qu'il ne souhaiterait pas voir entre les mains de sa femme, qu'il déteste. « Surtout pas si cette salope en venait à demander le divorce. » Max et Théo se retrouvent finalement vers une cabane au bord de l'eau, dans la forêt. Le médecin entend des cris à quelques mètres, sur des parcelles qu'il a achetées précisément pour ne pas être dérangé. Outré par cette invasion, il sort son arme et entend bien défendre sa personne et sa propriété.
A priori banales, ces situations d'errance et de ressentiment où chacun se laisse aller à sa propre ivresse, à trop se méfier de l'autre, vont conduire au geste irréparable. Célestin de Meuûs signe un premier roman percutant, dont le style vif et le rythme haché soulignent la montée accélérée d'une haine désorientée s'abattant au hasard sur la jeunesse perdue.
Mythologie du .12
Éditions du sous-sol
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 17,50 € ; 160 p.
ISBN: 9782364688032