C'est une monumentale décharge qui a étouffé toute végétation et pollué les eaux, une île entière au large de la Chine, constituée de déchets électroniques qui alimentent toute l'économie locale grâce à une main-d'œuvre bon marché. Dans d'innombrables ateliers, on récupère le silicium sur des ordinateurs mais aussi sur des prothèses bioniques défectueuses, des bras articulés, des implants mammaires, des muscles augmentés. On y recherche surtout les métaux dits « terres rares ». Des travailleurs migrants fouillent le sol vicié jusque dans les boues contaminées au plomb, sous des brouillards acides. Trois clans se partagent ce marché, exploitant sans vergogne ce peuple des déchets. « Parfois, on ne sait même plus distinguer ce qui, dans nos vies, est déchet ou ne l'est pas, raconte l'un d'eux. Les déchets sont notre gagne-pain, c'est grâce à eux que nous nourrissons nos familles. Et plus nous gagnons de l'argent, plus l'environnement se dégrade. »
C'est sur cette île de silicium que débarque Scott Brandle pour négocier avec les clans une part du marché pour le compte d'une société américaine qui prétend faire du recyclage vert. Brandle, qui se fait passer pour un samaritain mais qui a à son actif des missions de basses besognes, est une véritable énigme ambulante ; c'est surtout un homme meurtri par la mort accidentelle de sa fille. Son interprète, Dang Kai-zong, est né sur l'île mais l'a quittée enfant. C'est la première fois qu'il y revient, il y découvre les manigances de sa famille et les luttes entre les clans, avant de s'éprendre d'une jeune fille immigrée, Xiaomi, qui a fui son clan et fait l'objet d'une traque. Elle est recherchée pour participer au rituel de l'huile enflammée, seul moyen de guérir le fils d'un dignitaire plongé dans le coma. Les technologies futuristes côtoient ici les croyances traditionnelles en un monde de magie, avec ses sorcières et ses fantômes.
Au fil de ce qui s'affirme peu à peu comme un extraordinaire et atypique roman de cavale, dans une atmosphère putride et inquiétante d'un spectaculaire réalisme, Xiaomi commence à muter physiquement, tandis que l'existence d'une arme absolue cachée au milieu des déchets attire toutes les convoitises, et que les éco-activistes de l'association Tussilage risquent leur vie pour intercepter une cargaison de déchets porteuse d'un virus toxique ultime.
Chen Qiufan révèle en creux un monde où les déchets − et ceux qui en vivent − constituent finalement la seule trace authentique d'une histoire humaine gangrenée : l'île serait un concentré de notre civilisation, avec ses hontes et ses injustices, où les plus miséreux auraient en charge de contribuer malgré eux à un terrifiant révisionnisme, à une sorte de blanchiment du passé. Ce roman audacieux et transgressif, qui ouvre la nouvelle collection « Imaginaire » de Rivages et qui a été primé en Chine, montre une fois encore comment la science-fiction porte une réflexion lucide sur notre présent et sur la toxicité de nos choix politiques et économiques.
L'île de silicium Traduit du chinois vers l'anglais par Ken Liu, de l'anglais vers le français par Gwennaël Gaffric
Rivages
Tirage: 6 000 EX.
Prix: 23 € ; 448 p.
ISBN: 9782743657840