Mer, soleil et radioactivité. La guerre nucléaire a eu lieu. Elle a laissé des champs de ruines au milieu d'une nature contaminée et quelques survivants errant parmi les décombres, malades et mourant à petit feu à cause des radiations. Illustrant de façon presque troublante le concept contemporain de « sécession des élites », ce roman oppressant met en scène une poignée de personnalités fortunées qui, avant la catastrophe annoncée, se sont offert en guise de refuge une place dans un hôtel de grand standing en bord de mer, à Termush. Au fil d'une chronique tendue qui relève parfois du journal de bord froid et méticuleux, le narrateur, ancien universitaire de renom sur le passé duquel on saura peu de choses, raconte comment les jours s'étirent, entre les excursions en yacht, les parties de cartes et l'idylle naissante entre lui-même et une certaine Maria, dramatiquement perturbée par les événements. De plus en plus fréquemment, des personnes contaminées venues du dehors s'introduisent dans l'hôtel, menaçant à la fois la tranquillité des hôtes et leur santé. On les héberge ou on les chasse, ou bien les gardes les tuent. La peur s'amplifie vraiment quand une équipe d'éclaireurs partie inspecter les alentours cesse soudain de donner des nouvelles... Tandis que la direction impose des règles de plus en plus coercitives, le narrateur tente de rester humain alors que les hôtes perdent peu à peu leur clairvoyance. La véritable survie en jeu devient celle de la pensée, et entre les lignes jaillissent des questions philosophiques dérangeantes : dans quelle mesure les rescapés n'avaient-ils pas souhaité la catastrophe, avec l'espoir honteux que cela apporterait un changement ? « Sans le savoir, nous avions placé notre confiance dans la catastrophe, nous avions supposé qu'elle répondrait à nos peurs en utilisant des images aussi puissantes que notre imagination avait pu en créer », observe le narrateur. Plus inquiétante encore que la menace extérieure − qui promet un final aussi grandiose que terrifiant − demeure cette assiduité des clients à observer une routine bien rodée. En toutes circonstances, le narrateur lui-même conserve un certain flegme et ne se départ jamais de ses bonnes manières ni d'une maîtrise déconcertante de ses émotions. Sa façon de s'exprimer en devient presque protocolaire, au fur et à mesure qu'il réalise que la survie est devenue une marchandise comme une autre... Ce roman dont le véritable sujet serait l'attente, jamais éloignée de l'ennui, à l'écriture délicate ponctuée de quelques passages trash, est l'œuvre d'un célèbre auteur et dramaturge danois, Sven Holm (1940-2019). Publié en 1967, il n'avait jamais été traduit en français. Loin du coup éditorial, ce regard de son époque sur une situation futuriste fictive sert précieusement notre regard sur les peurs collectives durant la guerre froide tout en nous faisant réévaluer notre appréciation de la science-fiction actuelle, parfois moins novatrice et visionnaire qu'elle ne le paraît.
Termush, côte atlantique
Robert Laffont
Tirage: 4 800 ex.
Prix: 13,90 € ; 160 p.
ISBN: 9782221273753