Arracher la liberté. Septembre 2022. « Le nom de Mahsa Amini est sur toutes les lèvres, sur tous les fils des réseaux sociaux. » Et pour cause, la jeune femme a été battue à mort pour avoir laissé quelques mèches de cheveux dépasser de son voile. Un crime en Iran. Son père ne peut cacher sa peine. « Nous n'avons rien pu faire. Notre habit noir de deuil sera maintenant notre drapeau » et celui d'une nation révoltée par un régime suffocant qui la prive de ses droits. Cette énième attaque cible non seulement une femme, mais aussi ses origines kurdes. « Cette violence est vécue par toutes les minorités nationales, ethniques ou religieuses en Iran. » L'étudiante, au visage « un peu Joconde », devient un symbole mondial. Sa mort a entraîné une effusion de sang dans son pays natal. « C'est une révolte qui se vit et se définit comme une combustion de colère, une profanation et une contagion. Que peut-on connaître d'un soulèvement à travers ces images, ces voix et des fragments de lutte », s'interroge Chowra Makaremi. Installée en France, cette chercheuse au CNRS et anthropologue iranienne observe ces événements à distance. Ne pouvant pas s'en détacher, elle compose un journal dense, « ouvrage-témoin » qui suit « au jour le jour une révolte qui s'installe dans la durée, tout en dépliant l'histoire et les enjeux sociaux dans lesquels elle résonne ». Le texte fait de la place au contexte sociopolitique, religieux, historique et personnel, utile pour mieux comprendre l'Iran d'hier et d'aujourd'hui. Il y a d'une part « le pays qui exécute le plus au monde (surtout des Kurdes et des Baloutches) », mais d'autre part « la vie digitale que mènent plus de 88% des Iraniens. Bienvenue au pays des paradoxes, dans l'Iran loin des clichés, décomplexé, connecté ». Ce sont ainsi des tweets de manifestants qui composent l'hymne contestataire Baraye, diffusé sur les réseaux. « Cette après-vie de la rage s'enracine dans une histoire plus longue », celle d'une « épopée du pouvoir et de la résistance ». L'auteure la connaît intimement, puisque plusieurs femmes de sa famille ont payé très cher leur lutte contre l'oppression. Chowra Makaremi rend hommage à de nombreuses figures féministes qui se sont battues pour leurs idéaux. Comme la photographe iranienne Mehregan Kazemi, la chercheuse « vient d'une génération où nous sommes tous devenus acrobates ». Aussi se reconnaît-elle aisément dans cette contestation intergénérationnelle qui ne baisse pas les bras. Précision importante : « cette révolte sous la bannière »Femme, vie, liberté« n'est pas un mouvement de femmes. C'est un mouvement qui engage toutes les franges de la population : hommes et femmes des petites et grandes villes, des quartiers riches et des banlieues pauvres. » Ce n'est pas la première fois qu'une révolution surgit, mais « ce qui est nouveau est que les gestes d'aujourd'hui produisent un "nous" ». La torture, les innombrables emprisonnements et exécutions, engendrant la peur, se veulent dissuasifs, mais ce qui a germé ne peut s'effacer. Une histoire d'espoir, tant on veut y croire. « On se battra, on récupérera l'Iran. »